1.07 Get the Rope

Quand j'ai entendu parler du projet pour la première fois, je m'en foutais. Une série médicale historique sur Cinemax réalisé par Steven Soderbergh et avec Clive Owen ? Non merci, je ne regarderais pas.Ce qui était franchement idiot parce que 1-j'aime les séries médicales (enfin, il y en a une que j'aime beaucoup, pas besoin de vous dire laquelle), 2-j'aime les séries historiques (Deadwood, Rome ou Boardwalk Empire, il m'a fallu du temps et pas mal de préjugés idiots avant qu'elles ne rejoignent mon panthéon) et 3-j'aime le cinéma.


Ce qui a achevé de me convaincre, c'est une soirée d'été chez mon père, en revenant de Bulgarie. Il possède un écran de télé avec une putain de qualité et est abonné aux chaînes d'Orange. J'ai alors pu voir quelques extraits du pilote et c'est l'image qui m'a interpellé d'emblée : je n'avais jamais rien vu d'aussi beau sur mon écran. Seulement, on le sait bien, ce qui brille n'est pas forcément brillant. Et comme, justement, Boardwalk Empire et un tas d'autres séries revenaient tout juste dans ma vie, j'estimais que je n'avais absolument pas le temps de me plonger dans un nouveau récit. Trois semaines plus tard, j'ai rattrapé mon retard et, chaque soir avant de me coucher, je me suis enfilé un épisode sans jamais le regretter. 

Comme prévu, la plupart de mes préjugés étaient infondés. Non les amis, il ne s'agit pas (ou si peu) d'un Dr. House 1900. Si le sujet est bien la médecine moderne pratiqué par un grincheux, la série nous parle avant tout d'un groupe d'hommes et de femmes et d'une société en plein développement moral, industriel et technologique. On peut donc y retrouver des sentiments qui nous parlent et des questionnements toujours d'actualité, un tas de choses qui résonnent et qui font de The Knick autre chose qu'un cours d'Histoire ou une fresque sans âme. Comme l'autre drama médicale que j'affectionne tant, le personnage principal est l'hôpital (c'est le nom de la série) et il existe comme un petit théâtre des sentiments humains, où l'on navigue entre naturalisme (la précision des décors, le soin apporté aux séquences médicales) et impressionnisme (la photographie qui capture la lumière à différents moments de la journée et colore l'humeur d'un épisode, la bande originale aussi anachronique qu'envoûtante de Cliff Martinez). Sans virer dans le soap, on nous parle de romance. Sans virer dans le didactique (ou en restant à la limite), on nous parle de racisme. Et sans nous prendre gentiment par la main, on nous embarque dans une époque et un lieu que l'on apprend vite à connaître aussi bien que le personnel qui y travaille, sans pour autant qu'il nous dévoile tous ses secrets. Ce qui rend le tout hypnotique, c'est qu'on s'attache rapidement aux personnages, suffisamment pour se retrouver en terrain connu et que la série ne cesse pourtant de conserver son mystère, son atmosphère unique. Je regarde ça la nuit dans le noir car tout est calme et j'entends mon pouls palpiter dès qu'on entre dans le bloc opératoire ou dès que John Thackery a une idée. 


Clive Owen, je le connais peu (seulement grâce à un épisode du Ricky Gervais Show) et n'avait donc aucun a-priori le concernant. Il s'impose donc tout naturellement avec un personnage qui réunit au départ toutes les caractéristiques requises pour être un cliché d'anti-héros de "quality drama" (une addiction à la cocaïne et un génie qui voudrait qu'on le pardonne pour tout ses défauts) avant de se complexifier et évoluer par petites touches (et beaucoup plus rapidement que l'affreux type incarné par Lee Pace dans Halt & Catch Fire, qui partait pourtant avec le même handicap). Malgré son charisme certain, Owen n'écrase pas le reste du cast car il s'agit d'un ensemble show où tout le monde a le droit au même traitement et s'éloigne peu à peu de la forme première qui nous est présenté dans un pilote qui y va parfois un peu trop fort.

De la bourgeoise pistonnée par son père au comité de l'hôpital à la douce infirmière qui débarque dans un New York encore très violent (je suis amoureux de Eve Hewson) en passant par la religieuse qui pratique des avortements clandestins accompagné de l'ambulancier bourru, tout le monde a le droit à une exploration en profondeur. Durant les premiers épisodes, cela peut parfois nuire à la structure des épisodes, car il est difficile parfois d'avoir un véritable focus ou une narration très fluide. Mais cette tendance à s'éparpiller s'apaise par la suite et les digressions finissent toujours pas avoir leurs importances dans le récit. À l'exception peut-être de Barrow, le directeur, qui connait une trajectoire inverse : il débute comme celui qui relie tout le monde et finit par évoluer dans ses propres intrigues un peu détachés du reste. Mais la précision du jeu de Jeremy Bobb et la drôlerie du personnage nous font le pardonner. Ma préférence va au docteur Edwards et à sa lutte pour s'intégrer dans un univers plus que discriminatoire (André Holland, je suis ravi de faire ta connaissance) et à Bertie, le jeune chirurgien attachant, avide de savoir. Tous ensemble, cette étrange galerie parvient à créer au fil des épisodes quelques moments inoubliables, qu'il s'agisse d'un dialogue entre la soeur Harriet et inénarrable Cleary au cimetière, d'une nuit de découvertes médicales intense imposé par un Thackery sous emprise à un Bertie bien volontaire ou bien de la découverte des plaisirs d'une ballade à vélo. 


Oh et oui, on est obligé de parler de la réalisation. De Steven Soderbergh, je n'avais vu que la trilogie "Ocean's Eleven" et l'étrange "Solaris" et là, il dépasse toutes mes attentes. Les connaisseurs pourront me contredire mais c'est clairement son plus beau travail derrière une caméra. C'est d'ailleurs lui, sous l'alias de "Peter Andrews" (merci Wiki), qui se charge de la photographie et ça mérite clairement un Emmy tellement c'est beau à pleurer. De l'aube au crépuscule, des salons bourgeois aux bordels asiatiques, la palette de couleurs et de sentiments est incroyable et rend le tout encore plus hypnotisant. 

La formule fonctionne comme un médicament qui ferait de l'effet avec le temps et deviendrait presque une drogue. Ouais, The Knick, c'est ma cocaïne. Et c'est avec "Get The Rope", le huitième épisode, que ses effets furent le plus satisfaisant. Avec une émeute raciale qui éclate aux portes de l'hôpital, le savoir-faire de la série est exploitée mieux que jamais : ensemble show, medical show, historic show, society show, soap opera, tout s'imbrique et est haletant au possible. La médecine avance, les esprits changent, les corps s’enlacent et la mort continue de rôder inlassablement. Je pourrais parler d'aujourd'hui comme de 1900 et là, c'est de 1900 dont on nous parle dans la meilleure surprise de la rentrée (juste derrière Transparent mais ça, c'est une autre histoire que j'ai hâte de vous raconter).

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