7.12 Lost Horizon


Je réalise que c’est très frustrant d’avoir débuté mes meilleurs moments de Mad Men avant que la série ne soit terminé parce que rien qu’avec cet épisode, j’ai déjà au moins deux scènes à ajouter à la liste. « Lost Horizon » est à l’image de ces deux scènes : à la fois réjouissant et vraiment triste.

La première, c’est Peggy qui fait du roller pendant que Roger joue de l’orgue dans les bureaux désormais déserts de SCD&P. Elle est réjouissante parce qu’il se peut bien que ce soit le plan le plus génial que j’ai pu voir à la télé et qu’il m’a collé un sourire énorme. Mais il est triste car on assiste aux derniers jours de Rome, au Titanic qui sombre avec son orchestre. Roger se raccroche à quelques souvenirs et anecdotes tandis qu’il coule lentement et avec le semblant de swag qu’il lui reste. Et Peggy prend son envol mais peut très bien tomber elle aussi, tête la première. C’est ce que semble suggérer ma deuxième scène favorite, celle où elle fait son entrée fracassante dans les bureaux de McCann, clope au bec, l’inoubliable tableau de Bert Cooper sous le bras, un sourire espiègle, filmée au ralenti. David Carbonara a beau nous ressortir la même musique, c’est une personne bien différente de celle qui avait fait une entrée discrète à l’agence dix ans plus tôt. Et si de voir Peggy avoir ce petit moment de bravoure est forcément réjouissant, le sort que peut lui réserver un endroit comme McCann laisse très inquiet pour son futur.

Parce que McCann, c’est clairement l’enfer et pas du tout le paradis que nous vendait Jim Hobart la semaine dernière. Si on fait quelques recherches, on découvre d’ailleurs que le titre de l’épisode est aussi celui d’un roman de James Hilton, paru en 1933 et dont Don regardait l’adaptation de Frank Capra dans le season premiere. Il raconte l’histoire d’un homme qui arrive à Shangri-La, une oasis insoupçonnée au milieu de l’enfer, un lieu qui cache en fait une société tout aussi terrifiante dont il ne peut plus s’échapper. McCann, c’est quasiment ça. Joan est la première à en faire les frais quand elle ose espérer le respect qu’elle a dûment gagné par le passé et qui se voit écraser peu à peu par ses supérieurs et inférieurs masculins. Elle ira jusqu’à envisager d’exploiter la lutte féministe pour obtenir au moins l’argent qu’on lui a promis mais cette promesse aussi sera bafouée. C’est douloureux de voir cette cruelle et prévisible agonie que même Roger ne peut empêcher. C’est de sa faute au final et le voir débarquer après la bataille pour consoler Joan n’est pas sans rappeler Don qui vient jouer les beaux princes après qu’elle ait vendu son corps à Jaguar dans « The Other Woman ». Une fois de plus, Joan est la victime d’une société masculine et elle est rétrogradée à un statut bien pire pour elle (au vu de son ambition) que celui avec lequel on l’a rencontré : elle risque bien de devenir femme au foyer.


Débarquer à McCann, c’est donc presque un retour à la case départ sauf qu’à la place d’une petite agence à taille humaine (même si tout le monde ne l’était pas toujours à Sterling & Cooper), nos héros se retrouvent projetés dans une grosse machine qui les bouffe tout cru. À l’exception de Ted qui semble heureux de se retrouvé enfin noyé dans la masse et de Pete qui semble capable de s’adapter à toute situation de toute façon. Mais comme prévu, c’est un cauchemar pour Don. On le fait entrer dans une pièce rempli de mecs qui sont des Draper 2.0. et où il est impossible pour lui de se sentir spécial ou concerné. Forcément, il se met à regarder la fenêtre pour la deuxième fois en 10mn (la première, c’était un joli clin d’œil au générique) et tout ce qu’il voit, c’est un ciel grand ouvert, un avion au loin et des échappatoires potentiels. Alors, il s’échappe, une nouvelle fois…

Comme à la fin de la deuxième saison quand il s’était rendu en Californie auprès d’Anna (dont on revoit brièvement la bague grâce à cette chouette Meredith), Don laisse tout tomber pour partir sur la route. Pourvu que son errance le mène vers un nouvel horizon, une énième réinvention, celle encore plus désespérée que les précédentes. Tellement que ça le fatigue et l’entraîne à halluciner le fantôme de Bert Cooper qui vient encore jouer les vieux sages malicieux en lui conseillant d’arrêter de fuir bêtement. Don ne l’écoute pas et suit la route d’un paradis promis qui s’avère être un enfer car bien sûr, Diana n’est pas l’oasis qu’il espérait trouver à Racine, Wisconsin.


Alors en avant pour une nouvelle histoire, celle d’un autre de préférence. En prenant un auto-stoppeur sur la route de nulle part, Don est en terrain connu : voilà une opportunité d’oublier le vide qu’est devenu sa vie en se raccrochant à celle d’un autre. Ce fut un échec avec Diana, ce le sera sûrement avec ce gars-là et ça n’a plus l’air d’être important de toute façon. Comme dans « On The Road » de Kerouac (mon bouquin préféré en passant), l’important n’est pas la destination mais la route. Il en parlait vachement bien des « mad men » lui. Pas ceux qui peuplent les agences de pubs de Manhattan mais plutôt ceux qui, à l’image d’un Dean Moriarty, sont des esprits qu’on ne garde pas en cage. Bien qu’il soit plus un Salvatore Paradise, quelqu’un qui contemple et observe, Don a pris son envol. "Whither goest thou, America, in thy shiny car in the night?" Sacré Bert !

Au final, ce qui m’a rendu le plus triste devant cet épisode, c’est de me dire que peut-être qu’on ne reverra jamais la plupart des personnages. Comme la semaine dernière, on a l’impression d’être devant un series finale. Comme si Weiner essayait plusieurs variations pour trouver la conclusion qui lui convient. Franchement, tout le monde (à part peut-être Pete mais il y a eu le droit dans « Time & Life ») a le droit à sa conclusion. Peggy et son arrivée fracassante, Roger en chef d’orchestre du Titanic, Joan qui se prend une dernière claque avec dignité, Betty qui n’a absolument plus besoin de son ex-mari et Don qui s’en va vers de nouveaux horizons et une énième réinvention. Avons-nous vraiment besoin de plus ? Le fait est qu’il reste deux épisodes et que l’incapacité de savoir si c’est bien la dernière fois que l’on verra untel ou untel me rend fou.


Mais bon, c’est ça Mad Men : il faut là aussi savoir savourer chaque étape du voyage plutôt que sa finalité. Pourvu que le temps qu’il nous reste à passer avec ces personnages leur permettra de trouver de solides échappatoires. On a le droit de rêver un peu et d'avoir autant la tête dans les étoiles que cet astronaute de Bert ou cet ovni de Bowie :

"Now it's time to leave the capsule if you dare"

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