6.01-6.02 The Doorway


Il arrive un moment ou plusieurs dans nos vies où l'on entre dans une période de transition. Cela arrive généralement juste après une période très active et juste avant un renouveau. Cela peut durer deux jours comme dix ans. Cela peut affecter seulement une petite partie de nous (notre travail, nos amitiés, nos romances) ou envahir tout notre être et nous hanter. Mais cela arrive, qu'on le réalise ou non. Et même si on le réalise, personne ne sait vraiment comment réagir : faut-il se complaire dans le passé ou essayer à tout prix d'aller de l'avant ? Peut-on vraiment contrôler tout ça ou faut-il se laisser porter par la vague et attendre la prochaine, celle qui nous amènera plus loin ? 

Depuis son mariage avec Megan, Don nage dans une période de transition. Et depuis la saison précèdente, il évolue tour à tour dans l'illusion du changement puis la désillusion. "Happiness is a moment before you need more happiness", nous expliquait-il l'an dernier. Il n'est pas suffisamment dupe pour ignorer la futilité de l'existence, mais suffisamment pour croire qu'il a le contrôle. De son mariage, de sa carrière, de son image. Et pour l'instant, à quelques exceptions près, ce compromis a plutôt bien marché pour lui. Sauf que nous voilà en 1968 (si j'ai bien compris), que la série attaque déjà sa sixième saison et que le temps passe. C'est le thème que développe à mon sens Matthew Weiner depuis une soixantaine d'épisodes. Et alors que le showrunner a annoncé qu'il n'en resterait plus qu'une vingtaine, ce temps va fatalement (même si rien n'est jamais acquis avec Weiner) rattraper ses protagonistes, Don le premier. 

Et l'impression que me donne ce season premiere, c'est que le moment approche où Don va basculer d'un côté ou de l'autre, définitivement : soit se complaire dans le passé, soit aller de l'avant. L'équilibre qu'il a trouvé jusqu'à présent est trop fragile pour résister au temps et il faudra bien un jour qu'il perdre le contrôle sans retomber sur ses pattes immédiatement ensuite. Sans aller trouver une nouvelle femme sur laquelle fantasmer. Sans se trouver une nouvelle Peggy à impressionner. Un jour, il se trouvera dans un endroit où il n'y aura pas d'issue. Pour le moment, la série joue de symboles : Hawaï est son point de non-retour, ce briquet est le passé dont il ne peut pas se débarrasser. Et ces diapositives nous ramènent à l'un des plus beaux moments de la série. Lorsque Don, à la fin de la première saison, visionnait celles le montrant heureux avec Betty, et expliquait à son client au sujet de cette machine : 
"It's a time machine. It goes backwards, forwards. It takes us to a place where we ache to go again. It's not called the Wheel. It's called a Carousel. It lets us travel the way a child travels. Around and around, and back home again... to a place where we know we are loved."

Pendant combien de temps Don va-t-il encore retourner en arrière pour repartir en avant ? Pendant combien de temps va-t-il se retrouver dans un endroit où on l'aime ? Pendant combien de temps sera-t-il encore un enfant ? Quand je vois la manière dont ce séjour hawaï lui laisse une impression forte, la manière dont il sympathise avec ce voisin ou dont il questionne son portier au sujet de la mort, je pense que Don est en train de sortir de cette période de transition. Qu'il est à la recherche de nouvelles expériences. Car oui, une période de transition, c'est une période dénué de nouvelles expériences. De premières fois. C'est une période où l'on recrée des souvenirs, on l'on tente de retrouver des sentiments anciens. Alors que l'Amérique traverse une sorte de renaissance (ou tout du moins d'illusion de renaissance) il est temps pour Don, tout comme la série, de repartir à la recherche de premières fois. Quand on fait quelque chose pour la première fois, que ce soit adolescent lorsqu'on tombe amoureux ou à l'âge de Roger lorsqu'on enterre sa mère, on peut enfin être nous-même. Plus de formatage possible. On est neuf, on renaît et nous ne sommes plus rattachés à ce que nous étions. Nous sommes.

C'est intéressant de voir que, dès son introduction, ce season premiere replace d'emblée Betty au centre du récit et la met en parallèle avec son ancien mari. Plutôt à l'écart l'an dernier, elle est confronté ici aux mêmes questionnements. Pas avec un séjour hawaïen et un briquet, mais avec une jeune violoniste et son instrument. Ce n'est pas la guerre qui la hante, mais son passé de jeune modèle vivant dans un appartement new-yorkais. Il sera plus dur pour elle de se sortir de sa période de transition, surtout avec une famille aussi confortable, des enfants et autant de complexes. Mais peu importe : elle aura au moins essayé de poursuivre ce sentiment, même si c'est pour mieux retomber dans son confort. Pour faire une analogie hasardeuse, elle est à l'image de l'Amérique de cette époque et de ces hippies new-yorkais. Aussi courte que soit l'expérience, la recherche et le renouveau et aussi dure, confortable et conservatrice que sera la chute et le retour à la réalité. En attendant, on peut toujours changer la couleur de ses cheveux, c'est le moyen le plus simple de renaître. 

Cynique comme il est (et toujours aussi drôle), Roger ne se fait plus d'illusions. Il dérive comme un vieux navire et ne change pas car il n'a aucune raison de croire au changement. Aussi ivre qu'il soit, il est trop lucide pour ça. Mais ça ne l'empêchera pas de lâcher prise en apprenant la mort de son cireur de pompes. De se retrouver comme un gamin lorsqu'il réalise que, même s'il a beau en parler en toute décontraction à son psy ou ne rien ressentir à l'enterrement de sa mère, la mort viendra le chercher lui aussi et détruire tout. John Slattery est superbe et Roger plus tragi-comique que jamais. 


Comme souvent, c'est du côté de Peggy que l'on nous offre la plus belle illusion de changement. J'avais peur qu'on ne la revoit plus après sa promotion mais la revoilà, plus douée que jamais à son nouveau poste, une Don Draper 2.0. qui rayonne au travail et s'y donne sans relâche, même le soir du Nouvel An. Mais en marchant dans les pas de son mentor, elle coure le risque de se retrouver rapidement dans le même état que lui. Peut-être qu'il lui faudra encore un peu de temps pour réaliser que le bonheur immédiat procuré par le travail bien fait n'est rien comparé à notre condition. Mais elle se retrouve déjà dans la position de Don au début de la série. Et j'ai toujours aussi hâte de voir les choix et le chemin de Peggy Olson. Plus que jamais. 

Le reste nous est montré que par bribes et chacune d'entre elles est enthousiasmante. Qu'il s'agisse des nouveaux looks de certains (la barbe de Stan !) ou des choses qui ne changent pas (Pete, brave Pete...). On est replongé rapidement dans le bain, dans l'ambiance si particulière de la série et c'est une joie que j'attendais depuis longtemps. 

Et pour finir, au risque de trop interpréter ce que l'on nous montre (mais je crois qu'il est déjà trop tard pour s'en excuser), je repense au générique. Et j'entrevois la seule manière possible pour Don de se sortir de cette transition. Peut-être qu'il aura de nouvelles expériences d'ici ce dénouement. Mais au fond de lui, il sait déjà comment tout ça doit se finir. L'homme qui s'enfonce peu à peu dans l'océan, ce n'est pas dans un film qu'il l'a vu, c'est lui qui l'a fait, quelques années plus tôt, sur une plage californienne. Et contrairement à Roger et ses séances de psychiatrie qui lui permettent de vomir tout son fatalisme, Don sait encore qu'il peut contrôler une chose et qu'une nouvelle expérience l'attend forcément, "the doorway", l'issue qu'il recherche depuis déjà trop longtemps : la mort. Matthew Weiner a donc une vingtaine d'épisodes pour nous montrer ce qui l'en sépare, pour nous montrer comment Don va repousser ce moment. Pour faire durer un peu plus ou un peu moins la transition. Et peut-être pour prendre exemple sur son mentor David Chase et ne jamais nous montrer cette fin. Dans tous les cas, je suis heureux de retrouver la plus belle série à l'écran depuis six ans. Qui sait toujours autant me parler, me faire parler et m'émouvoir. Et je savais que ça allait être toujours le cas dès que j'ai entendu mon morceau favori de Chopin...

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