The Carousel [4/5]


Si je classe Mad Men parmi mes séries favorites, c'est qu'elle est capable de me hanter. Elle possède un tas d'épisodes mémorables mais ce que je retiens surtout, ce sont des instantanées, des moments clés ou anodins, des moments qui appartiennent aux acteurs ou aux réalisateurs (ou les deux) et qui me restent à l'esprit bien longtemps après leur première diffusion. Soit parce qu'ils sont bouleversants, drôles ou étonnants, souvent parce qu'ils sont contemplatifs et poétiques. Soit parce qu'ils sont un instant clé dans la compréhension d'un personnage ou parce qu'ils me renvoient à quelque chose en moi de tout aussi profond. Depuis 2007 (ou plutôt depuis 2008 car c'est là que j'ai débuté la série et ce blog), Matthew Weiner et son équipe accumulent ces moments et à quelques semaines de la fin, j'en ai sélectionné une cinquantaine (avec l'aide d'autres fidèles) pour vous faire une sélection qui sera forcément plus représentatif qu'un best of des meilleurs épisodes. Pas d'ordre particulier, juste un joyeux mélange de souvenirs. La nostalgie, c'était après tout un thème central de la série. 

Don vend de la nostalgie [S01E13 The Wheel]


La scène culte qui a finit de convaincre beaucoup d'entre nous que Mad Men était une série sur laquelle il fallait désormais devoir compter. À travers cet inoubliable monologue de Don Draper pour pouvoir vendre un projecteur de diapositives Kodak, la thématique de la série qui me touche le plus y est magnifiquement développé. Permettant à Don de retourner auprès de sa famille et d'avoir assez de confiance en lui pour promouvoir Peggy Olson. Un moment clé donc qui sera suivi d'un autre moment clé illustré par un morceau de Dylan, mais ça, j'en avais déjà parlé ici. Là, c'est le score de David Carbonara qui accompagne le speech et les diapositives qui défilent pendant que, nous aussi, on retient nos larmes, pensant chacun de notre côté à notre définition de la nostalgie et à nos souvenirs. Le texte est trop beau pour ne pas que je vous le redonne : "Nostalgia - it's delicate, but potent. Teddy told me that in Greek, "nostalgia" literally means "the pain from an old wound." It's a twinge in your heart far more powerful than memory alone. This device isn't a spaceship, it's a time machine. It goes backwards, and forwards... it takes us to a place where we ache to go again. It's not called the wheel, it's called the carousel. It let's us travel the way a child travels - around and around, and back home again, to a place where we know are loved."

Betty veut la vérité [S03E11 The Gypsy And The Hobo]


C'est une scène que l'on attendait depuis le pilote. Une confrontation qui allait forcément nous tomber dessus un jour ou l'autre et qui ne cessait d'être repoussé pour mieux être efficace une fois le moment opportun. Quand Betty découvre la véritable identité de son mari, elle l'attend son retour à la maison pour lui demander des comptes. Cette fois, Don n'a pas d'échappatoire et va devoir se confronter pour la première fois sans possibilité de recul à la destruction programmée de son mariage. Jon Hamm et January Jones étaient fin prêt pour cette dispute et se donnent à 100% dans un combat pas facile à jouer car plein de nuances, grâce à trois saisons d'étude de ce couple, "What would you do if you were me? Would you love you?", c'est la réplique que je retiens tellement elle est bouleversante : Betty a déjà envie de changement et les secrets de son mari lui donne une excuse tout en n'excusant aucunement son mari. C'est tellement dur à voir et à incarner à l'écran un amour qui n'existe plus. Et ça devient encore plus triste quand Don en profite pour tout dévoiler et se lamenter sur son passé traumatisant. Et ça devient encore plus triste quand ils doivent jouer une dernière fois les bons parents en amenant leurs enfants faire du porte à porte pour Halloween. Cette fin de troisième saison déconstruit comme un bulldozer tous nos repères (Don/Betty, l'agence Sterling Cooper) et à partir de cet épisode jusqu'au season finale, c'est un summum de la série. Tout commence par ce huis-clos tendu et dont il est impossible de détourner le regard, tel un terrible accident. Un naufrage. 

Pete à la conquête de Manhattan [S01E04 New Amsterdam]

"The great big city's a wonderous toy
just made for a girl and boy"
Même si Don est souvent au centre du récit, c'est rare que la série nous ponde un episode-centric autour d'un autre personnage. C'est presque le cas de ce "New Amsterdam" qui s'intéressait de près à l'ambition de Pete Campbell. On venait juste de rencontrer sa femme Trudy et alors que celle-ci le poussait à acheter un bel appartement, Pete faisait de son mieux pour s'imposer à l'agence. Ce qu'il récolte au final, c'est une réprimande bien cinglante de la part de Roger et l'obligation de rester dans l'ombre de Don Draper. Quand il retrouve sa femme et ses beaux-parents et finit par signer un bail pour un logement spacieux, il prétend pourtant que tout se passe bien et qu'il a tout sous contrôle. Puis, son faux sourire s'efface, il s'éloigne de sa petite famille et avec un regard plus sombre, observe la vue de Manhattan depuis une baie vitrée. Comme un prince qui regarde son futur royaume en attendant le jour où il sera roi. Comme un jeune homme ambitieux lancé à la conquête de New York coûte que coûte. Ou comme quelqu'un d'épuisé étourdi par une ville qui risque de le bouffer tout cru. Alors qu'Ella Fitzgerald commence à chanter "Manhattan", on commence à comprendre Pete Campbell et à partir de maintenant, on ne saura jamais trop s'il faudra avoir de la peine pour lui ou le mépriser. 

Don face à un nouvel espoir [S04E10 Hands and Knees]


Comme souvent alors qu'une saison se termine dans Mad Men, rien ne va plus pour Don : Lucky Strike s'apprête à quitter le navire, le département de la Défense est sur la piste de Dick Whitman et sa relation avec Faye Miller est un échec, ne lui permettant pas d'aller de l'avant suite à son divorce. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, cinq ans plus tôt, c'est presque la situation dans laquelle se retrouve le personnage actuellement, alors qu'on approche de la fin du voyage. À l'époque, Don avait fini par trouver un échappatoire. Et c'est à la fin de cet épisode qu'il semble avoir une sorte de révélation face à Megan, sa nouvelle secrétaire, qui vient de lui apporter les places pour les Beatles que désire tant Sally. Don reste là à la regarder avec un grand sourire alors que, quelques scènes plus tôt, il manquait de littéralement étouffé dans les bras de Faye. Cette vision d'innocence et de beauté est simple, l'apaise. Lui rappelle peut-être sa première rencontre avec Betty à l'époque où elle était mannequin et lui jeune débutant. Lui donne probablement envie de repartir de zéro. Une reprise sautillante des Beatles, tournant en ironie les vilains secrets de Don Draper, ne fait qu'accentuer la légèreté retrouvé du personnage, même si c'est éphémère. Repartir de zéro, c'est ce qu'il fera peu à peu jusqu'au season finale où il demandera en mariage Megan. "Il suffit d'une jolie fille pour qu'ils oublient tout" dira Peggy au sujet de ses fiançailles surprises. À travers ce petit moment de joie, ce petit sourire en coin qui en dit long, Don oublie tout. Et s'il la demandera en mariage en Californie, c'est après avoir visité une dernière fois la maison d'Anna Draper et tous ses souvenirs. Megan représente un nouveau départ. Et c'est pour ça que j'entrevois presque pour la fin une énième réinvention. Qui sera la nouvelle candidate ? Est-ce que c'est encore possible après avoir accumulé tant d'erreurs ? On va le savoir très vite. 

Don face à un espoir qui lui échappe [S05E06 Far Away Places]


La lune de miel sera de courte durée. Exit le moment de légèreté, voilà déjà l'ombre qui plane sur un mariage maudit d'avance. L'espoir d'un nouveau départ n'était qu'un pansement qui n'a duré le temps que de quelques "zou bisou bisou". Bah oui Don, tu peux projeté tout ce que tu veux sur ta nouvelle femme, tu découvriras vite qu'elle n'est pas une Betty 2.0. et qu'elle a ses propres problèmes. Et l'abandonner sur une aire de repos n'était pas ta plus grande idée. Alors qu'il part à sa recherche, une autre chanson sautillante des Beatles lui reste en tête, lui rappelant le séjour à Disneyland où il avait demandé sa jeune secrétaire en mariage, lui rappelant peut-être la scène que je citais juste avant. Quand Don finit par retrouver Megan, ils ont une violente dispute qui se transforme en bagarre qui se transforme en larmes. Et voilà que Don se met à genoux pour implorer le pardon de sa femme et lui dire qu'il a peur de la perdre. Le reste de leur relation sera un long éloignement où chacun aspirera à des choses différentes, où le fossé de la génération et des envies va créer un fossé. À la fin de l'épisode, Bert Cooper ordonnera à Don de se concentrer à nouveau sur son travail. Mais dans cette scène, Don s'accroche à l'espoir que représente Megan et même si cette dispute signe presque le début de la fin pour eux, il semble terriblement sincère. On peut faire plusieurs fois la même erreur tout en croyant à chaque fois que, cette fois, c'est la bonne. 

Roger prend du LSD [S05E06 Far Away Places]


Roger: "Why are you crying?"
Jane: "Its so, its perfect here."

L'impasse principale dans la vie de Roger est son mariage. Depuis la deuxième saison, Jane apparaît comme un personnage uni-dimensionnelle, une opportuniste pas facile à apprécier. Mise en retrait, elle a enfin le droit à un traitement plus intéressant, et par la même occasion, Roger n'est pas simplement là pour vieillir amèrement, distribuer des bons mots ou poursuivre sa relation maudite avec Joan. Et pour nous offrir un tableau émouvant et original de cette union en fin de vie, les scénaristes nous inventent dans un voyage ludique à base de LSD. En 1966, la drogue est en vogue et la soirée à laquelle assiste le couple n'est pas sans rappeler les anecdotes des Beatles concernant leur visite chez le dentiste (qui leur glissa le produit dans leur thé à leur insu). Pas encore l'apanage de la jeunesse qui se cherche, le LSD est une mondanité, une curiosité pour bourgeois qui s'emmerdent et se laissent tenter mollement par l'expérience du docteur Leary. Filmé avec inventivité et beaucoup d'humour, le voyage intérieur de Roger le rapproche de Jane, ce qui entraîne une longue conversation à coeur ouvert, ce qui mène à la fin de leur union. Et de manière assez inédite, l'intrigue de Roger en devient aussi amusante que bouleversante. La chanson des Beach Boys résume plutôt bien le personnage : "I Just Wasn't Made For These Times" et l'impasse dans laquelle se trouve de nombreux personnages. Malgré tous les échappatoires possibles, s'évader vraiment semble impossible dans Mad Men. 
"Each time things start to happen again I think
I got something good goin' for myself
But what goes wrong?
Sometimes I feel very sad
Can't find nothin' I can put my heart and soul intoI guess I just wasn't made for these times"
Ginsberg n'est pas comme les autres [S05E06 Far Away Places]


Bon, vous commencez à comprendre que "Far Away Places" est l'un de mes épisodes favoris de la série (et je ne cache pas non plus mon amour de la cinquième saison, celle que j'ai le plus citée pour l'instant). En plus du voyage de Roger et des états d'âmes de Don et Megan, on s'y intéresse à une nuit de travail à l'agence où l'excentrique Michael Ginsberg confie sa solitude à Peggy. La solitude de ne pas pouvoir trouver quelqu'un qui lui ressemble, de se sentir complètement aliéné par le monde qui l'entoure. Une scène de confessions touchante et apaisée par rapport au reste de l'épisode, qui permet à Ben Fedlman de faire sortir son personnage du lot des grattes-papiers travaillant à SCD&P. Né dans un camp de concentration, à la recherche de son identité, l'histoire de Michael semble émouvoir Peggy qui ira ensuite se réfugier dans les bras d'Abe, son amant de l'époque. Un dialogue très beau qui parle de lui-même et qui préfigure peut-être le sort tragique de Ginsberg qui sombrera peu à peu dans la folie jusqu'à la fameuse scène des tétons, que j'ai décidé de ne pas vous ressortir. À la place, souvenons nous plutôt de Michael comme d'un doux créatif jamais à sa place. 
Michael: "I got this one communication. A simple order. Stay where you are."
Peggy: "Are there others like you?"
Michael: "I don't know. I haven't been able to find any.
Bobby Draper va au cinéma [S06E05 The Flood]


L'émotion dans ce moment vient comme souvent de quelque chose d'assez personnelle, ici plus précisément d'un rapport à l'enfance et à ma relation avec mon père. C'est rafraîchissant de voir Bobby Draper sortir un peu de l'ombre de sa grande sœur (les changements de casting n'avaient pas aidés, certes) et comme d'habitude, voilà de nouveau une très belle scène se déroulant dans une salle de cinéma (où Don avait déjà passé une chouette séance en compagnie de Peggy, quelques épisodes plus tôt). Là, c'est "La Planète des Singes" qui est projeté, au lendemain de l'assassinant de Martin Luther King, au coeur d'une année 1968 qui met à feu et à sang l'innocence retrouvée et le progressisme naissant de l'Amérique. Naïf, Bobby décide alors de se montrer très gentil envers un employé du ciné black et ça semble attendrir son paternel. Qui nous confiera dans un monologue qu'au départ, il prétendait aimer ses enfants jusqu'au moment où ils ont commencé à faire des choses qui le surprenait ou qui lui donnait l'impression d'avoir un rôle à jouer. C'est le cas ici et bien que j'aurais pu choisir le très beau monologue de Jon Hamm ou la scène finale qui le voit observer le regard vide un New York sous tension, j'ai choisi ce moment de complicité père-fils au cinéma. Il est touchant et rare.

Sally face aux sales adultes [S05E07 At The Codfish Ball]

La sélection de Florian, alias lordofnoyze, fidèle rédacteur au DailyMars. Lui aussi s'intéresse de près à la relation entre Sally et son père, un peu le fil rouge de ces 50 shades de Mad Men. 


Parmi toutes les relations entre Don Draper/Dick Whitman et ses proches, celle qui a été distillée au mieux, plus que celle avec Betty est celle avec Sally. Sally Draper est le témoin souvent silencieux, souvent inquisiteur, de la dissolution du mariage de Don, et plus généralement des relations houleuses avec sa mère. Parmi les multiples moments tumultueux vécues par l'aînée Draper, l'un des plus mémorables est sa sortie dans le monde des adultes, un rare dîner de gala organisé par l'American Cancer Society. Don y traîne Sally après avoir appris qu'il avait la garde au dernier moment, et elle fait connaissance - et le spectateur avec - la mère de Megan, Marie Calvet. Entre les leçons de Roger concernant le networking et le pitch réussi de Don avec Heinz, Sally est totalement délaissée à la table. Une soirée qui se terminera par la surprise de voir sa nouvelle grand-mère en plein adultère avec un des amis les plus proches de son père. C'est le regard plein d'amertume et de lucidité de Sally, au téléphone avec Glen, qui offre la réplique la plus cinglante de l'épisode : "How was the city?" "Dirty." Un long cauchemar qui se poursuivra jusqu'au final de saison 6, où Don lui avouera la vérité sur son identité et avoir grandi dans un bordel. Mais parmi tous les personnages féminins extrêmement prominents et forts, Kiernan Shipka aura offert beaucoup d'apparitions mémorables, qui se sont raréfiées une fois qu'elle est partie sous la coupe de Betty et Henry Francis. Une figure dramatique de la série d'autant plus remarquable qu'elle n'est pas épargnée.

Don face à l'Océan [S02E12 The Mountain King]


C'est la fin du Monde. La crise des missiles de Cuba, tout ça. "Meditations On A Emergency", c'est après tout le fil rouge de la saison, du season premiere jusqu'au final. Parti pour les affaires en Californie, Don abandonne Pete et la jet-set local pour retourner aux sources, auprès d'Anna Draper, la seule personne qui la rattache à son passé, la seule avec qui il ne semble pas jouer un rôle. On apprend aux enfants à se cacher sous les tables au cas où l'URSS lance une offensive nucléaire et Don se cache au soleil, laissant tout en plan : une agence qui va bientôt se faire racheter par les britanniques et une femme qui a de plus en plus envie d'aller voir ailleurs. Autour d'une bière, il s'est confié à Anna en ces termes : "I've ruined everything. My family, my wife, my kids." I'm just watching" my life. I keep scratching at it, trying to get into it. I can't." Alors en attendant de trouver une solution, une nouvelle réinvention, Don s'abandonne. Il se débarrasse de ses vêtements et s'enfonce peu à peu dans les vagues qui menacent de l'emporter loin de la vie dont il n'est plus qu'un simple témoin. Quitte à être contemplatif, autour l'être devant l'Océan. Don ferme les yeux, la caméra s'éloigne et il devient si petit par rapport à l'immensité naturelle dans laquelle il se baigne. C'est très religieux tout ça, l'abandon est peut-être une renaissance. En Californie où réside encore son nom, il a le droit à un baptême, avec prescription. Un morceau de country chrétienne débute pour accompagner ce moment divin. Les bombes peuvent bien tomber. Après lui le déluge.

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