Bilan Saison 3

Article publié à l'origine sur le Daily Mars le 31 mai 2016.


C’est une tradition depuis le pilote de Dharma & Greg en 1997. À la fin de chaque épisode d’une série qu’il produit, Chuck Lorre écrit une « vanity card » dissimulée à la fin du générique. À l’époque, il fallait faire pause sur son magnétoscope. Aujourd’hui elles sont répertoriées sur ce site. Le magnat de la sitcom y raconte des anecdotes sur ses vieux démons, commente ses choix scénaristiques ou donne quelques bons conseils. Une sorte de « moralité » à la De Fontaine où l’ancien addict nous parle comme à une réunion hebdomadaire des Alcooliques Anonymes.

Après le season finale de Mom, on pouvait lire ça :
« Merci pour votre soutien. Malgré tout, il y a quelques cadres de la Warner Bros qui s’inquiètent de ne pas voir plus d’hommes regarder la série. Depuis le début, on a voulu provoquer du rire et, quand c’était pertinent, aborder des sujets plus sérieux. On n’a jamais voulu mettre de côté le sexe masculin. Est-ce le titre qui repousse nos téléspectateurs mâles ? Peut-être qu’on devrait renommer la série « Alcooliques Nymphomanes » ? Ou commencer la prochaine saison avec un mélange de porn-stars et de joueurs de la NFL ? Peut-être. Ou on peut tout simplement continuer de faire la série que l’on aime et dont nous sommes fiers car s’adresser aux bas instincts du public n’a jamais rien donné de bon. À part pour Two and a Half Men. »
Déjà la Warner, rassurez-vous, je suis un homme et un fidèle téléspectateur de Mom (bien que les indices d’audiences de CBS auront du mal à me comptabiliser de l’autre côté de l’Atlantique). Ce qui a pu me rebuter au début, ce n’était pas le titre mais les facilités d’écriture d’un pilote maladroit (pléonasme ?). Depuis, lentement mais sûrement, l’écriture s’est affinée et Mom est discrètement devenue la meilleure sitcom à l’écran. Il y a eu de la route depuis ce pilote mais aussi, puisque Chuck le mentionne, depuis l’ignoble Two and a Half Men, un navet renié par son créateur qui propose aujourd’hui, sur la même chaîne(*), une belle antithèse.

L’ami Nicolas vous avait déjà expliqué le tournant qualitatif entre la première et la deuxième saison. Comment elle était passée d’un show bordélique et stéréotypé à une sitcom dans la lignée d’une Roseanne, s’intéressant à la classe moyenne, luttant entre soucis d’addiction et soucis financiers avec toujours la famille et l’amitié comme seules invariables. Avec cette troisième saison, la qualité reste constante et le propos est décliné sans jamais qu’on tourne en rond. Un comble quand il est question de déterminisme social où, bien souvent, nos deux héroïnes sont ramenées cruellement à leur point de départ.

Tandis que Christy (Anna Faris) se consacre à une potentielle carrière d’avocate, Bonnie (Allison Janney dans le rôle de sa vie, désolé C.J.) reconstruit peu à peu sa vie sentimentale après le décès d’Alvin. Si le duo est toujours aussi central (et leur dynamique d’amour vache toujours aussi bien écrite), on peut désormais compter sur un groupe de seconds rôles solides, loin des égarements d’un restaurant devenu lointain souvenir (même si French Stewart est bizarrement toujours crédité au générique). Valeur sûre et voix de la raison, Marjorie (Mimi Kennedy) est désormais entourée à temps plein de la délicieusement cupide Jill (Jaime Pressly) et de Wendy, l’infirmière à fleur de peau (une Beth Hall qui rejoint enfin la distribution principale).

Au total, si on exclut une Violet un peu plus effacée cette année, on a une sitcom CBS avec cinq rôles féminins bien définis et développés avec une finesse qui grandit d’épisode en épisode (ce qui n’empêche pas quelques gags bien gras à l’occasion, on ne se refait pas Chuck). Corrigez moi si je me trompe, mais on n’avait pas vu un pareil cast féminin menant une sitcom de network depuis la fin des Golden Girls en… 1992 !

Parler d’addiction, de pauvreté et d’amour, ce n’est pas nouveau. Mais en parler sous ce point de vue, c’est presque avant-gardiste. Mom fait le lien entre le classicisme de la sitcom (et lui redonne les lettres de noblesses que des camarades comme Big Bang Theory sont en train d’abîmer) tout en n’ayant jamais peur d’aborder tous les sujets avec encore plus d’impact que certains dramas du câble (handicap, abandon parental, dépression). Elle peut encore nous faire rire bêtement (Janney excelle dans le gag physique) tout en arrêtant les rires enregistrés le temps d’une scène tragique ou d’un dialogue (la mort frappe encore lourdement dans le bouleversant 3.12).


Et si ce sont bien les portraits de femmes qui sont au cœur du propos, les hommes ne sont pas en reste car, cette saison, l’ex-mari Baxter (Matt L. Jones) gagne une belle maturité et William Fichtner s’illustre dans le rôle du nouveau petit ami de Bonnie. Son alchimie avec Allison Janney est exemplaire et leur rencontre par téléphone un modèle d’ingéniosité scénaristique. Bref, comme toute bonne sitcom, Mom nous livre chaque semaine une formule réconfortante et bien huilée tout en piochant sans cesse dans son énorme boîte à idées pour ne jamais se reposer sur ses lauriers.

Venant tout juste de finir une intégrale de Cheers (1982-1993), je peux vous dire que Mom, au bout de trois saisons, a déjà l’étoffe des grandes sitcoms du siècle dernier. À l’exception du Carmichael Show sur NBC, vous ne trouverez pas meilleur théâtre filmé à la télévision actuellement. Et si Chuck Lorre parvient à calmer les inquiétudes de la Warner, il y a moyen de suivre les mésaventures de la famille Plunkett pendant encore longtemps.

(*) CBS qui, la rentrée prochaine, risque de tristement régresser avec des sitcoms aux allures bien rétrogrades, qu’il s’agisse du retour de Kevin James ou de celui de Matt Leblanc en père au foyer. Je vous laisse savourer leur bande-annonce pour un troublant retour en 1992.

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