Quand la série que tu attends le plus revient après plus d'un an et demi d'absence, c'est un sacré événement. Il faut être à la hauteur, se remettre dans le bain, avoir le sens du rituel. Attendre d'être seul, que le soleil se couche, fumer et se mettre en condition pour savourer comme il se doit l'atmosphère si particulier du show. Qui, depuis l'été 2008, au moment où je découvrais Don Draper, m'a offert parmi mes plus belles émotions télévisées de la décennie et qui m'a encouragé à lancer ce blog et à le continuer. D'ailleurs, même lorsque les autres chroniques foutent le camp, manque de temps, je ne peux m'empêcher d'écrire sur Mad Men.
Avant de commencer, on peut déjà revenir sur ce qu'il s'est passé entre l'automne 2010 et ce retour tant attendu. La série est devenu un mini-phénomène en France, pour le meilleur comme pour le pire. Pour le meilleur car elle mérite de ne pas rester confidentielle. Pour le pire car c'est surtout le marketing du show, son aspect "glamour", "sixties", "cigarette et whisky" qui a retenu l'attention de ceux qui ont voulu nous vendre la série et de ceux qui l'ont achetés, sans forcément l'avoir regarder ou avoir voulu voir plus loin. Parce que des références à Mad Men sont entendus aujourd'hui un peu partout, souvent en rapport avec le charme de Jon Hamm, les formes de Christina Hendricks, les robes des actrices, l'aspect machiste des ces hommes d'un autre temps qu'il est de bon temps d'imiter lors de soirées déguisés. Non pas que je veuille me la jouer snob car encore une fois, c'est une très bonne chose de voir la série être reconnu par le plus grand nombre. Mais je préférais tout de même qu'elle soit retenu pour autre chose que seulement l'image qu'elle renvoie, une image souvent distordue. C'est une belle ironie quand on connait la profession des personnages, un beau coup publicitaire, aussi réussi que pervers. Cet engouement un peu tardif arrive à un moment où l'avenir de la série s'est montré assez incertain, suite à des renégociations, à un manque de fiabilité de la part d'AMC aussi bien sur le plan financier que qualitatif (The Walking Dead et The Killing ont également fait couler beaucoup d'encre) et on a tout de même eu bien peur que le cinéma nous vole Jon Hamm. Mais non, miracle, la cinquième saison débarque avec le printemps et donc oui, c'est un événement. Pour tout le monde cette fois.
Depuis la dernière fois, un autre événement de taille est venu frapper ma vie de spectateur : j'ai enfin vu The Sopranos. Oui, je sais, j'avais promis de parler plus longuement de cette expérience qui m'a profondément marqué mais je n'avais jamais trouvé les mots. Mais aujourd'hui, je peux en tout cas évoquer le parralèle évident qui rapproche la série de David Chase à celle de son ancien scénariste, Matthew Weiner. Avec le recul, les similarités sont de plus en plus évidentes. Tout comme on a souvent vendu les Sopranos comme une histoire de mafia, on vent Mad Men comme une série sur les sixties. Les deux séries partagent également un sens du rythme particulier, une manière de développer les intrigues assez proche et surtout, cette impression que l'on regarde une tranche de vie, et l'on sait que la vie fonctionne par cycle, par répétition, par hasard et ce sont les éléments moteurs de la narration. Le temps qui s'écoulait entre chaque saison des Sopranos et celui qui vient de s'écouler pour Mad Men intensifie cette impression du temps qui passe, part essentielle des deux séries, et élément qui m'émerveille autant devant chacune d'entre elle. Et qui fait que, graduellement, chaque saison vient dépasser la précédente en terme de qualité.
Tout ça pour dire que mes attentes sont très élevées pour cette cinquième saison. Je ne sais pas quels sont les plans de Weiner pour la suite, mais j'imagine Mad Men durer sept saisons et quand "A Little Kiss" débute, j'ai le sentiment que nous sommes plus près de la fin que du début. C'est en juin 1966 que nous retrouvons Sterling Cooper Draper & Pryce et ses employés. 1966 pour moi, ça évoque d'abord la musique, de "Blonde On Blonde" à "Revolver" en passant par "Pet Sounds". C'est l'effervescence de la jeunesse sur la Côte Ouest, à San Francisco, les révoltes sociales qui bousculent l'Amérique, la Guerre du Vietnam à peine entamé qu'elle s'enlise, c'est une année qu'il aurait été dommage d’occulter, un moment charnière des années soixante. Mais comme d'habitude, il s'agit d'une toile de fond, qui touchera ou non nos personnages. Ils vivent à leur propre époque, pas forcément à celle qui les entoure. Comme nous tous, ils n'ont pas assez de recul pour être conscient de leur culture, des changements de la société dans laquelle ils évoluent et ils vivent avant tout pour eux-mêmes et ceux qui leur sont proches. Mad Men a toujours su utiliser sa timeline pour nous raconter des personnages sans jamais utiliser des personnages pour raconter une époque. La seule nostalgie qui doit nous toucher ici, c'est celle que peuvent à l'occasion ressentir les protagonistes, et c'est seulement à travers leurs yeux et leurs préoccupations que nous pourrons apercevoir le monde en 1966.
Quelles sont leurs préoccupations en juin 1966 ? Season premiere d'une heure trente, "A Little Kiss" nous donne un semblant de réponse, installant comme d'habitude avec minutie les enjeux de la saison, sans perdre de temps à nous expliquer ce que l'on a manqué, en nous faisant confiance pour reprendre le fil de la vie des personnages et tâcher de comprendre où ils en sont.
Commençons par Don. Qui a passé la saison dernière dans une crise existentielle qui trouva une sorte de résolution par son mariage précipité avec Megan, jeune secrétaire frenchy, affriolante, loin d'être idiote et ambitieuse. Quand on le retrouve dans les bras de la nouvelle Mrs Draper, Don a l'air détendu, serein. "Kind and patient" selon les mots de Peggy, qui trouve cela presque inquiétant. Mais il serait prématuré de croire que Don a trouvé la pleinitude et le bonheur conjugal en seulement quelques mois. Ce season premiere passe son temps à nous suggérer que derrière ce nouvel aspect, Don cache d'éternels fissures prêtes à se craqueler à n'importe quel moment.
À cet égard, la grandiose scène de la fête d'anniversaire est très représentative. La dynamique du couple nous y est montrée dans tout ce qu'elle a de raffraichissante et de vouée à l'échec. Tout passe par le regard de Jon Hamm, qui parvient à réaffirmer tout son charisme en étant pourtant à l'arrière-plan, derrière une Jessica Paré qui illumine tout sur son passage grâce à sa beauté et à son "Zou Bisou Bisou", déjà culte sur la toile. Pendant la quatrième saison, Don a chercher à aller de l'avant, à accéder à "Tomorrowland". C'est Faye qui lui avait ouvert les yeux et c'est Megan qui l'a pris pour la main pour le mener dans la bonne direction. Mais comme la destination est inconnue et que le charme de la nouveauté ne peut pas durer éternellement, il semble que Don n'est pas entièrement satisfait du voyage. Et il se réfugie dans ses vieux principes : ceux d'un passé où il n'avait pas à affronter le regard de ses collègues au coeur de sa vie privée, ceux d'un passé où il pouvait interdire à sa femme de fêter son anniversaire, ceux où sa femme ne connaissait même pas sa véritable identité. Don avait l'habitude de contrôler sa situation conjugale, il doit maintenant partager le volant avec une femme qui représente la nouvelle génération. Megan est l'antithèse de Betty et pourtant, Don semble parfois en attendre la même chose, comme lorsqu'il se couche exténué après le plus embarassant des anniversaires et refuse de parler à sa partenaire, ou lorsqu'il reprend ses airs dominateurs dans une scène très brutale, limite perverse. Donc non, Don n'a pas changé. Il est en train de changer et donc dans une lutte constante entre renouveau et régression. C'est pour ça qu'il reste toujours aussi passionnant à suivre. Et c'est pour cela que la relation Don/Megan risque d'être au coeur de la saison, et qu'elle a beaucoup chose à apporter à chacun des deux personnages.
Oui, parce que ça y est, Megan fait partie intégrante de la galerie de personnages. Ce n'est plus une secrétaire, ou une conquête d'un soir ou même une institutrice au frère maniaco-dépressif. C'est Madame Draper et elle nous est montré d'emblée avec toute sa complexité. Elle apparaît parfois comme calculatrice, ambitieuse et femme fatale. Ou bien enfantine, naïve et fragile. Et cette scène sur le balcon, celle qui clôt la première partie, nous montre tout ça à la fois et la positionne d'emblée comme un nouveau personnage follement intéressant et qu'on a envie de suivre pendant encore longtemps. Elle nous ferait presque oublier l'absence de Betty, qui semble vivre dans une grande maison, loin de toute réalité. Une question est alors posé avec ce season premiere : combien de temps va durer l'illusion pour Don et Megan et Betty sera-t-elle liée à leur inévitable chute ?
Pendant ce temps, Pete Campbell continue son ascension à coups de caprices et d'arrogance. Il est celui qui ramène le beurre sur les épinards aussi bien pour la compagnie que dans son foyer et la tâche semble le faire sombrer peu à peu vers ses pires défauts. Si les compromis des autres (le bureau d'Harry) ou l'apparente bon entente avec Trudy (j'espère qu'ils vont l'acheter ce chien !) permettent à Pete de maintenir un semblant de maîtrise, il apparaît évident qu'il vieillit à vue d'oeil et qu'un gros nuage noir vole au dessus de son crâne de plus en plus dégarnie. Une maladie ? Pas plus d'informations pour l'instant. Une chose est sûre : Pete reste toujours mon personnage favori. Ses joutes verbales avec Roger ou sa nouvelle secrétaire apportent une légereté bienvenue tandis que ses doutes dans le train et sa décrépitude lui apportent un brin de gravité. Et il est plus attachant que jamais malgré son caractère inchangé. Autour de lui, Kenneth et Harry sont deux faire valoirs qu'il est bon de retrouver et qui ne manquent pas de nous faire rire ou de rendre Pete encore plus savoureux.
De son côté, Peggy semble toujours dans la même position. Alors qu'elle occupe un poste similaire à celui de Don lors de la première saison, sa jeune padawan doit encore faire ses preuves et endurer sa condition de femme dans une compagnie diriger par les hommes. Que ce soit celui qui refuse toujours de lui offrir une tape dans le dos (la relation Don/Peggy est similaire à un JD/Cox ou un Carter/Benton si on y réfléchit bien) ou celui qui partage son bureau et passe son temps à détendre l'atmosphère (Stan, personnage désormais régulier et toujours aussi sympathique). C'est surtout à travers sa relation avec Don et Megan que Peggy est réintroduite. À part pour sa relation avec le journaliste "underground", on en sait peu sur l'état dans lequel elle se trouve aujourd'hui et il me tarde de la revoir au premier plan, surtout après le parcours exemplaire qu'elle a parcouru la saison dernière. Tout comme elle, j'attends la reconnaissance de Don, la reconnaissance tout court. C'est ce qu'elle cherche depuis le début et peut-être que cette année, elle le trouvera.
Quel plaisir également de retrouver Joan, ma chère et tendre Joan. Devenue mère célibataire, épaulée par sa mère alors que son médecin de mari semble toujours être au Vietnam. Paradoxalement, c'est quand elle semble avoir perdu sa confiance légendaire, lorsqu'elle est aussi vulnérable qu'elle est la plus belle et attachante. Son retour au travail est réconfortant et nous rappelle qu'elle est une partie essentielle de la série. Si je ne sais toujours pas quoi penser de sa relation avec Roger (et de leur enfant), j'ai particulièrement aimé ses scènes avec Lane. Ce dernier est lui aussi devenu intégrante du show et il est de plus en plus génial à chacune de ses apparitions. Le retour de sa femme et son fantasme étrange à l'égard d'une photo trouvé dans un taxi en font quelqu'un d'aussi fragile que Joan et leur duo fonctionne étonnamment bien. Je suis ravi de retrouver ces deux personnages sur le devant de la scène car ils le méritent.
Je pense à contrario que Roger mérite de rester pendant un temps sur la touche. Il est toujours très drôle mais sa place dans la série n'est plus vraiment légitime (un peu comme Cooper, sauf que l'aspect "à côté de la plaque" de ce dernier justifient complètement de le voir toujours déambuler dans les locaux). La coolitude de John Slaterry semble être le seul argument en sa faveur. C'est que moi, j'ai vraiment cru que la saison dernière avait signé sa chute. Il était très touchant et fragile et je préfère voir cet aspect de sa personnalité plutôt que son côté buveur invétéré et champion de la bonne réplique, qui sont un peu éculés. Je ne sais pas quoi en penser en vérité. Juste envie de voir où tout cela va nous mener et s'il les scénaristes ont quelque chose de nouveau à nous raconter sur Roger Sterling. Au moins, la manière dont il traite Jane est une source d'amusement sans fin.
En guise d'ouverture et de clôture à ce double épisode, un problème de société est intégré à l'univers de show de manière plutôt maline : le racisme. 1966 est l'année idéale pour aborder ce sujet et comme je vous le disais plus haut, je ne doute pas que les scénaristes sauront utiliser ces questionnements pour servir les personnages, pas juste histoire de jouer la carte "sixties". Connaissant Roger, ça risque d'être intéressant. Un nouvel exemple du combat impitoyable que se livre les générations depuis la première saison, à une époque où tout va de plus en plus vite et où Don et compagnie vont avoir du mal à n'être penché que sur leur nombril.
Un double épisode très satisfaisant qui nous parle de personnages qui ne sont pas satisfaits et que je sui ravi de suivre pour une nouvelle période de leur vie. Mad Men est de retour et elle est toujours la plus série à l'écran.
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