Vous savez que je ne suis pas très bon pour parler des choses réussies. Je n’ai aucun sens de l’analyse, je marche à l’instinct et je me retrouve très vite à enchaîner de manière bordélique un tas de superlatifs. Dans le cas de The Wire, j’ai en plus de ça la pression de me ramener après tout le monde avec pas grand-chose de nouveau à raconter. Mais vous vous en foutez probablement de mes plates excuses ? Peut-être que vous aussi, vous venez de découvrir la série et ça vous dérange pas un type qui se ramène avec ses platitudes ? Alors trêves de justifications, causons un peu de Baltimore.
Cette quatrième saison, c’est celle que j’attendais le plus. D’abord parce qu’on me rabâche depuis toujours que c’est la meilleur et ensuite parce que l’éducation est un thème qui me touche d’encore plus près. Je ne dit pas ça parce que je fus pion pendant un moment ou que je souhaite être professeur, je dis ça parce que je pense que la clé des problèmes que David Simon exposent depuis le début se trouve là, dans ces salles de classes. Je ne crois pas faire original et engendrer une prise de conscience collectif en disant que l’éducation est la base de tout et que dans une ville comme Baltimore ou il est très dur de lutter contre le déterminisme sociale, c’est un sujet encore plus primordial et complexe. Ed Burns, le bras droit de David Simon, fut lui-même professeur et il était donc temps d’aller faire un tour au collège. L’expérience ne m’a pas déçu.
Oui les amis, encore une fois, vous aviez raison : il s’agit bien de la meilleure saison de la série (bien que je n’ai pas encore vu la dernière). La plus marquante en tout cas, émotionnellement parlant. Parce que c’est bien beau de s’attacher à des flics alcoolique, à des dealers, des dockers syndiqués et même des politiciens véreux, mais quand on se prend d’affection pour un groupe de collégiens et qu’ils se retrouvent eux aussi victime du système, c’est encore plus tragique. Contrairement aux saisons précédentes, il n’y pas de véritable temps d’adaptation nécessaire, on entre directement dans le bain : Michael, Randy, Namond et Dukie nous sont présentés de manière efficace, l’enquête concernant Marlo est déjà en place, la campagne de Carcetti bat son plein… Bref, on connaît la chanson et la plupart des protagonistes, qui sont pour la plupart des vétérans. Et même relégué sur le banc de touche comme ce bon vieux McNulty, ce qui n’est pas un mal tant le personnage en avait besoin et fonctionne très bien à petites doses car c’est encore plus formidable de le retrouver et d’observer son bonheur en attenant l’inévitable chute (car David Simon m’a volé ma naïveté et mon idéalisme et je ne crois plus au bonheur).
Revenons-en tout de même à nos quatre collégiens qui sont au cœur de nos préoccupations pendant 13 épisodes où on va les voir suivre chacun son parcours et se faire influencer par toutes sortes de mentors, plus ou moins bien intentionnés. Il y a d’abord Prez, devenu professeur de mathématiques et c’est un vrai plaisir que de retrouver notre ancien flic malchanceux dans un rôle qui lui va beaucoup mieux et qui lui permet d’être encore plus attachant. Ses efforts pour saisir l’attention de ses élèves et pour offrir ses chances à Dukie furent parmi mes moments favoris cette saison. Il y a Bunny Colvin qui se retrouve de nouveau avec un projet à la Hamsterdam, dont a du mal au départ à voir les bienfaits mais qui, dès qu’il commence à fonctionner, est pulvérisé par les hauts placés. C’est tout de même lui qui s’en sortira le mieux car il parviendra à offrir un nouveau départ à Namond, alors que ce dernier était victime d’une mère ignoble et vivait dans l’ombre de son père. La scène où Bunny parvient à convaincre Wee Bey de laisser son fils prendre une voie différente est poignante. Il y a Cutty dont la réinsertion fonctionne toujours mais qui a du mal à faire impression sur Michael, tant ce dernier est traumatisé par des adultes mal intentionnés et qui finira tragiquement par rejoindre les rangs d’un Marlo toujours aussi inquiétant tellement il est froid et sans honneur. Et puis, il y a Randy, Randy et son sourire chaleureux, qui ne sourira plus quand, malgré les efforts d’un Carver qui a véritablement évolué dans la bonne direction cette saison, se retrouvera de nouveau en foyer d’accueil.
Je viens de vous résumer à la va-vite les différents duos mentors/élèves de la saison mais c’est bien beaucoup plus complexe et nuancée que ça et il est incroyable de voir à quel point ces quatre nouveaux personnages sont développés tout en finesse. À quel point on peut s’attacher à eux et s’inquiéter à chaque scène de leur sort, tout en sachant pertinemment qu’un happy end n’est pas au programme. Et on tient là quatre jeunes acteurs excellents, qui n’ont aucun mal à tenir tête à des vétérans de la trempe de Robert Wisdom par exemple. Donc au final, on a le discours auquel on s’attendait : l’éducation est dépendante d’un système mal foutu et souffre des mêmes problématiques que les autres milieux visités auparavant : une chaîne de commande injuste, un cas par cas essentiel mais impossible, des exigences budgétaires qui pénalisent ceux qui ont le moins d’argent et des missions qui sont rarement les bonnes. Sauf que là, ce sont des gosses qui trinquent et c’est le début d’une chute de dominos qui commencent à l’école et se terminent en prison, à la rue ou sur le pavé, avec de trop rares privilégiés. Oui, je le redis : l’éducation est à la base de tout et il est facile d’appliquer le constat de cette quatrième saison aux systèmes scolaires que nous connaissons et encore une fois, de se sentir impuissant.
Et s’il n’y avait que ça… Mais non : Simon et compagnie ne se contentent pas d’aborder ce thème et parviennent à intégrer le reste des intrigues en cours et de tout lier de manière bigrement intelligente. La campagne électorale de Carcetti est passionnante (merci à Norman pour être la révélation comique de la saison) et nous ferait presque croire en lui. Ce qui est d’autant plus dépriment lorsqu’il se retrouve au poste du maire et est lui confronté à la réalité (putain de Clay Davis). Le long chemin qui mène nos policiers jusqu’à Marlo est semé d’embûches, que ce soit à cause d’un Herc à la bêtise de plus en plus dangereuse ou à des guerres de territoires de plus en plus perverses et dénués de toute morale. Le duo Chris/Snoop fait froid dans le dos et ce maudit « nailgun » (comment on dit « nailgun » en français les bricoleurs ?) m’a fait cauchemarder. C’est un plaisir malgré tout de voir Bunk et Lester plus en forme que jamais et un Carver qui, comme je le disais plus haut, est largement remonté dans mon estime. Et puis il y a un Omar qui reprend du service (dans son intrigue la moins caricaturale pour le moment) et un Bubbles qui tente lui aussi d’avoir son rôle à jouer dans l’éducation et qui… Oh, Bubbles… Et il y a toujours tout ces personnages secondaires haut en couleurs, de Landsman à Rawls, en passant par Prop Joe et Cheese, sans oublier ce bon vieux Poot, seul rescapé de l’empire Barksdale (qui l’aurait cru ?)…
« Final Grades », le season finale extra-large est pour le moment mon épisode favori de la série et probablement l’un des trucs les plus forts émotionnellement que j’ai pu voir devant mon écran. Tout l’investissement que j’ai pu mettre dans la série (et que j’ai mis dans un temps assez serré, c'est-à-dire mon mois d’août) prend sens lors d’une succession de scènes qui te pilonnent le cœur et te laissent comme une larve. Le destin de ce pauvre Bodie, que l’on a vu grandir et devenir un vétéran des rues de Baltimore et qui meurt comme un héros (mais pas vraiment car le type est tout de même un trafiquant de drogues qui fait partie du problème… Mais quand même car, tout comme McNulty, on a fini par aimer cette tête familière… Ah, The Wire, bordel !). Le destin de ce pauvre Bubbles qui m’a fait chialer à chaque fois qu’il se prenait un coup et dont la tentative de suicide est le truc le plus dur que j’ai pu voir jusqu’ici dans une œuvre de fiction (Andre Royo est bouleversant lorsqu’il craque dans les bras de Steve Earle). La découverte des victimes de Marlo, l’arrivée de Randy en foyer d’accueil, le retour de McNulty aux affaires et un Michael qui passe pour de bon du mauvais côté de la force. « Final Grades » est un truc de fou et oui, c’était bien la saison la plus puissante de la série.
J’ai oublié de vous parler d’un tas de trucs mais comme d’habitude, pour les anglophones, je vous renvoie vers Alan Sepinwall et je vous conseille de regarder « It’s All Connected », un documentaire qui revient sur les grands thèmes abordés cette saison. Moi, je vais faire un dernier tour à Baltimore et voir si cette ultime saison est aussi décevante qu’il paraît. De toute façon, je vois mal comment on peut faire mieux que celle-ci…
Et bonne rentrée quand même hein...
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