Souvenirs d'ER #8

Le 19 septembre prochain, ER aura vingt ans. Ce sera en tout cas la date anniversaire de la diffusion, en 1994, du pilote de la série sur NBC. Pour fêter ça, retour avec ce "magazine" sur l'histoire de la série ou plutôt, mon histoire avec la série.

ADMISSIONS / Pas de salle d'attente cette semaine, on passe directement aux admissions car je suis plutôt pressé. C'est Kerry Weaver qui nous accueille, un personnage au parcours atypique dont j'ai suivi l'évolution un peu à l'envers...


D'abord, il faut rappeler que, juste derrière Noah Wyle, c'est bien Laura Innes qui restera le plus longtemps au casting de la série. Et comme je compte les allers-retours de Carter dans mes calculs, il se trouve que Weaver est la seule qui sera présente pendant douze saisons consécutives, un record. Tout ça pour dire qu'elle est une figure forcément marquante du County, qui a traversé de nombreuses périodes, croisé la route de nombreux personnages et eu l'occasion d'évoluer sur la durée, même si les scénaristes ne lui ont pas toujours accordé toute l'attention qu'elle méritait.

Moi, je l'ai découvert à une période où elle était déjà chef des urgences, une supérieure à la fois bienveillante et autoritaire. Sa storyline du moment était ses retrouvailles avec le Dr. Lawrence (Alan Alda), une figure de mentor affaiblie par la maladie d'Alzheimer et une bonne manière d'appréhender le personnage de Kerry car son dilemme sera récurrent dans son parcours : comment trouver un équilibre entre la compassion qu'elle peut avoir pour ses collègues ou patients et ses obligations professionnels qui la force parfois à agir contre son désir. On retrouvera ce schéma quand elle devra se positionner sur les problèmes d'addiction de Carter, la maladie de Mark et sa décision de poursuivre le travail jusqu'au bout, les égarements de Luka ou les problèmes financiers d'Abby. Même si elle finit souvent par se faire beaucoup d'ennemis et ne se montre pas aussi patiente avec tout le monde (Doug Ross et surtout Dave Malucci ne seront pas épargnés), chaque membre du County lui doit quelque chose et finit, tout comme nous, par la considérer comme une présence essentielle et bien plus protectrice qu'on pourrait le penser.


Sa première apparition dans la série, c'est un entretien d'embauche avec Mark dans le season premiere de la deuxième saison. Dès son embauche, elle apparaît comme carriériste et calculatrice, semant régulièrement la zizanie dans le service et ayant pour fonction d'être une véritable antagoniste à nos héros. Afin de l'adoucir, les scénaristes décident alors de l'utiliser à l'occasion comme comic relief, tournant en dérision son jusqu'au boutisme et son ambition. Il faudra attendre la quatrième saison pour que Kerry gagne en profondeur : la manière dont elle se positionne face à la séropositivité de Jeannie Boulet, l'arrivée d'un Romano qui lui vole le rôle de "boss acariâtre" et un focus sur sa vie privée qui était jusqu'alors très floue. On découvre une Weaver orpheline, amoureuse, très seule. Et elle arrête alors d'être la patronne relou pour devenir un membre à part entière de l'équipe même si sa position l'éloignera bien souvent du front et l'empêchera parfois d'avoir des relations sincères avec son personnel. Kerry Weaver, ou la solitude de ceux qui assument les responsabilités.

Sa position lui permet tout de même d'être en première ligne dès qu'un évènement majeur a lieu au County : lorsque Lucy et Carter se font poignarder, c'est elle qui découvre les corps ensanglantés. Six ans plus tard, quand le County subit une nouvelle fusillade et qu'Abby baigne dans son sang, c'est de nouveau Kerry qui est la première sur les lieux du crime. Comme pour affirmer son rôle de "doyenne" et de responsable d'un service qui est presque devenue sa raison d'être et dont le personnel est parfois tel une bande de gamins capricieux dont elle doit s'occuper. Plus elle montera dans les échelons, moins on aura l'occasion de la voir aux urgences ou pratiquer la médecine. Mais elle restera toujours une figure lointaine, qui est toujours là au moment où la série en a besoin, jusqu'à un départ émouvant, où elle transmet à Luka, nouveau chef des urgences qu'elle avait embauché et soutenu contre tous, la leçon qu'elle a retenu de ces douze années et qu'elle avait déjà murmuré à Carter après la mort de Mark : "ne pas laisser le travail prendre le dessus sur le reste".


D'ailleurs, je garde pour la fin la vie privée de Kerry, qui fut également marquante. De manière organique et rarement traité avec autant de sensibilité et justesse sur une chaîne de network, les scénaristes entraînent Kerry à la redécouverte de sa sexualité lorsqu'elle réalise qu'elle est lesbienne au contact du Dr Legaspi, dans la septième saison. À partir de là, elle débute un long chemin semé d'embuches pour conserver son intimité et sa crédibilité, alors qu'on lui met pas mal de bâtons dans les roues et qu'elle ne parvient pas elle-même à s'accepter et faire son coming-out. Un moyen pour la série de tenir un discours progressiste tout en rendant encore plus fragile et passionnant un personnage central. Par la suite, Kerry vivra une histoire aux yeux de tous avec Sandy Lopez avec qui elle aura un enfant. Mais comme il s'agit d'Urgences, Sandy finira par mourir et Kerry terminera son parcours dans la série en tant que responsable du personnel d'un hôpital lesbienne et mère célibataire cinquantenaire. Ce n'est pas tous les jours qu'on a un tel personnage sur une série grand public de network et c'est tout naturellement qu'on garde un souvenir fort de Kerry. Il suffit d'entendre le son d'une béquille pour repenser à elle, le véritable pilier qui a fait tenir les piliers officiels (Mark, John, Luka) pendant douze ans. 

Pour un aperçu représentatif du personnage, quelques épisodes forts à revoir : "Getting To Know You [S05E22]" où elle redécouvre les joies de la médecine en prenant soin d'un gamin abandonné, l'intrigue autour d'Alan Alda s'entendant du S06E03 au S06E07, "Surrender [S07E12]" qui mélange bien ses dilemmes professionnels et personnels, "Witch Hunt [S07E16] et "Rampage [S07E22]" où elle doit lutter contre la discrimination de ses supérieurs, "Party Cloudy, Chance of Rain [S08E08]", un épisode épique où elle joue le rôle du médecin héroïque tout en rencontrant la femme de sa vie, "The Advocate [S09E17]" où elle se retrouve mêlé à un scandale politique et doit revoir à la baisse ses ambitions et "Just As I Am [S11E14], un très bel épisode où Kerry retrouve sa mère biologique et se retrouve confronté à l'intolérance de celle-ci. 


Et puis n'oublions pas de saluer la performance de Laura Innes, qui a imposé une voix bien à elle (sacrifié par une VF changeante) et une silhouette tour à tour inquiétante ou réconfortante. Une superbe actrice que je désespère de revoir un jour dans un rôle à la hauteur. 

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SALLE DE RÉANIMATION / C'est dans une salle de réa (la 2, c'était ma favorite) que j'examinerais à chaque fois une saison au hasard (pas dans l'ordre, sinon je m'ennuierais). Et le tirage au sort a désigné... la deuxième saison.

Et j'imagine qu'à l'époque, tout le monde se retrouvait devant la problématique cliché des groupes de rock'n'roll : après un premier album aussi percutant et réussi, comment faire aussi bien voire mieux pour le second ? Devenu véritable phénomène d'audiences et succès critique généralisé, la série se la joue confiante et ne bouscule pas trop la formule, préférant poursuivre ce qui fonctionne et développer tranquillement les arcs en cours, amenant les personnages vers de nouveaux horizons. Et on commence à tellement bien les connaître que c'est l'occasion d'en introduire de nouveaux (on commence doucement à comprendre que l'hôpital est plus important que son personnel) : Kerry Weaver donc, dont a déjà pas mal discuté. Jeannie Boulet, qui était récurrente jusque là et rejoint le personnel et la vie amoureuse de Peter. Et puis Harper Tracy, jeune étudiante qui sert de faire-valoir à Carter sans jamais vraiment trouver sa place ou s'affirmer au delà d'un triangle amoureux avec Doug pas franchement réjouissant.


Mais on s'en fout car ce qui compte encore principalement, c'est ce qui se passe dans les couloirs de l'hôpital. Et le plus réussi, tout comme avec la première saison, ce sont les cas médicaux : on pense à Loretta, la prostituée traitée par Mark, au couple Rubadoux qui seront victimes de l'arrogance naissante d'un Carter aveuglé par son ambition, à la survivante de l'holocauste dont Mark prendra soin le soir de Noël, à une Lucy Liu et son enfant dont Doug jouera les anges gardiens et à un Adam Goldberg sans abri qui deviendra le protégé de Carol. Rajoutez à ça des intrigues de hiérarchie et de luttes de pouvoir incarné par l'arrivée de Weaver dans le service et les expérimentations du docteur Vucelich (Ron Rifkin) et la suite de l'apprentissage d'un Carter qui débute sa saison en revenant de vacances au soleil et la termine en arborant pour la première fois sa blouse blanche offerte par son mentor. Tant qu'on reste à l'intérieur du County, la caméra se balade toujours allégrement entre les différents patients et nous offre les moments les plus marquants de la saison.

Toujours autant de plaisir à suivre Carter donc qui gagne de nouvelles facettes (plus arrogant et compétiteur, il semble parfois reproduire l'exemple de Benton sans véritable succès) et se rapproche déjà des urgences, comme en atteste "A Shift in the Night", probablement mon épisode favori, un huis-clos nocturne où Mark donne à Carter une belle leçon de médecine urgentiste. Mark, justement, continue lui aussi de s'éloigner de son image de médecin exemplaire en se montrant plus abîmé que prévu par son divorce et par une sorte de crise de personnalité qui l'entraîne à changer de look et parfois à exaspérer ses collègues. Quand à Peter, il se fait briser la carapace à plusieurs reprises, d'abord par un supérieur qui le prend au piège, puis par une Jeannie qui l'accompagne dans ses conflits familiaux. Quand à Doug, on le retrouve dans son schéma habituel de bad boy, qui enchaîne les conneries professionnelles et romantiques, sans vraiment vouloir en assumer les conséquences, mais toujours avec swag : qu'il s'agisse de sauver un enfant coincé dans les égouts après une inondation (le culte et récompensé "Hell and High Water", spectaculaire pour l'époque mais un peu surfait) ou bien de sortir avec l'amante de son père (Marg Helgenberger dans le rôle de la cougar).


Mais quand je repense à la deuxième saison, ce sont surtout les femmes du casting qui me reviennent à l'esprit. Carol et Susan sont les vraies héroïnes de ces vingt-deux épisodes. Du moins, c'est sur elle que l'on se focalise le plus souvent. La première, débarrassé de fiançailles sans lendemain et du "will they won't they" avec Doug, est envoyé dès le début de saison jouer les secouristes avec un Ron Eldard dans un rôle très touchant d'ambulancier qui sera anéanti par la mort d'un collègue ("The Healers", autre moment fort récompensé très justement et un bel épisode "sortez les mouchoirs"). Avec lui, Carol traversera de gros problèmes financiers et une rupture passionnelle, de quoi donner du grain à moudre à une Julianna Margulies qui ne demandait que ça. Et encore plus que la saison passée, l'accent est mis sur le travail des infirmières et la lutte de Carol pour qu'elles soient reconnus à leur juste valeur. Elle a une dimension syndicaliste cette saison et l'amie Hathaway est une vaillante figure de proue.

De son côté, Susan traverse une période difficile également depuis que sa soeur junkie a embarqué la petite Suzie avec elle. Un peu inégale et tombant parfois dans le soap un peu redondant, la dépression de Susan propose pourtant de bonnes tartines d'émotion qui font mouche à l'occasion (j'ai ce flash de Susan dans une église en train de prier pour sa petite nièce et, je ne sais pas pourquoi, ça me file des frissons). Sherry Stringfield tire bien son épingle du jeu (navré de la savoir désormais au générique du navet Under The Dome) et sa guerre de territoire avec Weaver ne fait que rendre le personnage plus intéressant.


J'envisage souvent les trois premières saisons comme la première ère de la série, comme une trilogie. Et comme avec "Le Seigneur des Anneaux", c'est le deuxième volet qui m'a le moins séduit. Je lui préfère la première saison et la troisième mais ce n'est pas pour autant que la deuxième saison est médiocre, loin de là. Elle comporte de formidable moments d'apprentissage et de médecine et, même si les personnages ont parfois tendance à être tous dans leur coin dans des intrigues un peu dissolues, le casting, la réalisation et la confiance en eux des scénaristes font toujours la magie du truc. 

Sélection S2 / "Hell & High Water", "The Healers", "A Shift in the Night", "John Carter, M.D."

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PARKING DES AMBULANCES / Comme tous ceux qui sont parti du County (vivant), je termine ma course sur ce fameux parking où résonne les ambulances et tous les souvenirs de parties de basket entre collègues et d'adieux émouvants. Cette semaine, pas de souvenirs personnels (j'en ai encore pas mal d'anecdotes mais je les garde pour les prochaine fois, quand j'aurais plus de temps). À la place, je vous propose une vidéo qui est pourtant une belle Madeleine de Proust puisqu'on y retrouve toutes les versions du générique. La musique reste la même (sauf pour les dernières saisons et ce "opening credits" à la Lost bien naze) mais les acteurs vont et viennent. J'ai souvent essayé d'imiter les positions de chacun lorsque retentissait la musique (notamment Mark pivotant sur son fauteuil) et il suffisait d'entendre les premières notes pour accourir devant la télé. 

La semaine prochaine, on ira faire un tour en Europe de l'Est et explorer une saison où il tombe beaucoup de neige et de pluie mais aucun membre du casting pour une fois.

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