J’étais en train de me demander de quoi allait parler ma prochaine rétrospective sur l’histoire des séries. J’avais même commencé à fouiner dans les pires épisodes de Saint-Valentin. Et puis je me réveille un matin et David Robert Jones est mort. Merde.
C’est la K7 de Scary Monsters qui tenait éveillé mon père quand il venait me chercher, un week-end sur deux, qu’on roulait tard le soir. C’est Ziggy Stardust qui faisait danser toute ma joyeuse auberge espagnole à l’époque où j’habitais à Barcelone. C’est Heroes qui a accompagné ma dépression hivernale de 2010. C’est Low qui m’a donné l’énergie nécessaire pour sortir de cette hibernation. C’est Hunky Dory que j’écoute toujours avant d’aller à une soirée, pour avoir l’arrogance nécessaire, pour raviver la flamme.
David Robert Jones est mort mais l’ovni David Bowie existe encore. 25 albums, une dizaine d’incarnations et un dernier adieu prémédité suffiront largement à lui offrir une belle postérité. Sans vouloir jouer l’opportuniste, il se trouve également que la télévision n’a cessé d’utiliser ses chansons, son image et parfois Bowie lui-même – le cinéma aussi bien sûr mais d’autres en parleront mieux que moi. Alors, via une poignée d’exemples marquants et non exhaustifs, c’est de son passage dans les séries dont il sera question à travers cette nouvelle rétrospective.
« Space Oddity » – Friends S05E19 (1999)
Un exemple très anecdotique mais assez personnelle. Quand je visionne cet épisode pour la première fois, j’ai dix ans et, comme je le disais plus haut, j’ai l’habitude d’entendre Bowie grâce à la K7 dans l’autoradio de mon père. Quand les six colocataires surprennent Chandler en train de marmonner l’intro de « Space Oddity » dans sa salle de bain, à la fin d’une VHS maison, j’ai ressenti l’un de mes premiers émois pop culturels, l’un de mes premiers plaisirs d’intertextualité. Sans Chandler et sa brosse à dents, je ne serais peut-être pas là à vous faire ce genre de classements. La même année, mon autre série formatrice, Urgences, utilisera la même chanson. Coïncidence ?
« Changes » – Popular S01E18 (2000)
« Changes », c’est un morceau très facile à utiliser dans une série, très cliché. Un personnage traverse une période de changement ? Paf, « Changes » pour bien illustrer ça. Si ce changement est vestimentaire ou sexuel, encore mieux. Ce fut le cas dans un épisode des Experts sur le meurtre d’un trans (S05E08). Et dans le teen-show Popular, diffusé entre 1999 et 2001 sur The WB. L’épisode en question s’appelle « Ch-Ch-Changes » et on y voit l’un des professeurs annoncer son désir de changer de sexe à sa classe qui, en guise de soutien, décide de se travestir l’espace d’une scène (ci-dessous). Bowie, c’est aussi un artiste qui aura prouvé à des millions de jeunes qu’ils peuvent s’assumer, que le changement a du bon. Merci quand même à Transparent de ne pas encore être tombé dans cet effet un peu convenu.
« Chubby Little Loser » – Extras S02E02 (2006)
Souvenez-vous de l’époque où Ricky Gervais était drôle. Où son insolence était au service de séries novatrices (The Office) plutôt que de cérémonies insupportables (les Golden Globes). On parle souvent de David Brent – dont un énième comeback est hélas en préparation – mais Andy Millman, le figurant au centre d’Extras, est tout aussi touchant et pathétique. Tellement qu’il a même eu le droit à une humiliation de la part de Bowie en personne. Installé au piano, ce dernier entonne nonchalamment une descente en règle du « Chubby Little Loser ». Le caméléon devient ainsi le maître de tous les caméos.
« Life On Mars » / « Ashes To Ashes » – Life On Mars / Ashes To Ashes (2007-2009)
Ces deux morceaux emblématiques ont également donné leur nom à deux séries britanniques – adaptées en 2009 et sans succès par ABC. Dans le pilote, le flic Sam Tyler (John Simm) a un accident de voiture alors qu’il écoute « Life On Mars ». Il se retrouve alors propulsé en 1973, année de sortie du morceau. Dans le spin-off, c’est son partenaire Alex Drake qui reçoit une balle au son d’ »Ashes to Ashes » et débarque en 1981. Je n’ai vu aucune des deux – on m’a dit que c’était assez inégal – mais si c’est votre cas, n’hésitez pas à nous en dire plus. Les voyages dans le temps ne sont pas le monopole de Doctor Who, autre british aux multiples incarnations.
« Bowie in Space » – Flight of the Conchords S01E06 (2007)
Le duo néo-zélandais est fan de Bowie et, bien avant d’avoir sa propre série sur HBO, chantait sur scène leur hymne « Bowie in Space ». Dans « Bowie », l’épisode qui met en scène ce morceau, Bret est mal dans sa peau et reçoit la visite, dans un rêve, de son héros. C’est Jemaine qui incarne le Major Tom mais, d’après cet entretien très émouvant, le rêve du duo était d’avoir le chanteur en guest. Reste un clip savoureux, truffé de clin d’œil à l’univers de Bowie.
« Dayman » – It’s Always Sunny In Philadelphia S03E09 (2007) / S04E13 (2008)
Charlie Kelly est un personnage tellement lunaire qu’il était forcé de convoquer l’excentricité du Bowie glam en créant, son chef-d’œuvre, « Dayman ». D’abord une simple chanson où Dennis, dans sa plus belle imitation vocale et vestimentaire de Ziggy Stardust, incarne le héros de cette parabole tordue sur les traumatismes d’enfance de Charlie (S03E09). Ensuite, une comédie musicale où le reste du gang se prête au jeu/détruit la vision créatrice de notre chasseur de rats favori (S04E13). Deux moments d’anthologie pour une comédie qui les enchaîne déjà depuis 11 saisons. Glenn Howerton (Dennis) a rendu hommage à Bowie sur son Twitter : “I loved Bowie so much. I just loved him and I’m so sad he’s gone. He was my all time favorite”. Un hommage prévu pour la douzième saison ?
« The Man Who Sold The World » – Fringe S0507 (2012)
Je n’ai jamais regardé Fringe. Mais en faisant mes recherches, je suis tombé sur cette scène où Walter (John Noble) écoute un disque de Bowie l’air triste. Et John Noble qui écoute Bowie l’air triste, c’est presque ce qu’il me faudrait pour trouver le courage de regarder une série de J.J. Abrams.
« Life On Mars » – American Horry Story S04E01 (2014)
Pour le meilleur mais surtout pour le pire, la série anthologique de Ryan Murphy est à l’image de Bowie : elle change régulièrement d’incarnation, jongle outrageusement avec des symboles glam et trash. Elle aime les costumes, les masques et la fantaisie. Sa quatrième saison avait pour cadre un freak show des années 50 et, peu soucieux de l’anachronisme, le season premiere livrait une scène belle et étrange : Jessica Lange, alias Elsa Mars, s’approchant d’un microphone pour chantonner le tube martien de Bowie, le roi des freaks.
« Space Oddity » – Mad Men S07E12 (2015)
Don Draper est bien connu lui aussi pour ses réinventions, pour sa capacité à changer de peau. “Lost Horizon” nous offre sa dernière grande fuite, son échappée belle. Au moment où ses camarades s’enferment pour de bon dans une grande tour des miracles, Don choisit la grande route américaine, où l’horizon est infini. Une décennie se termine et on la droit de rêver un peu. D’avoir autant la tête dans les étoiles que cet astronaute de Bert Cooper ou cet ovni de Bowie : « Now it’s time to leave the capsule if you dare ».
Comme je le disais, la sélection est loin d’être exhaustive. Bowie est partout, de Scrubs à Freaks & Geeks en passant par Glee, That 70’s Show et Gilmore Girls. Dommage que le choix des morceaux ressemblent un peu trop à un Greatest Hits, avec toujours les mêmes titres. Pour faire plaisir à Gibet, terminons avec un Christmas Special datant de 77, où Bowie accompagnait Bing Crosby, juste avant sa mort, sur des classiques du genre « Little Drummer Boy ». Plus trop de saison mais charmant.
David Robert Jones est mort donc. Pas grave : Bowie continuera à vivre sur nos platines et sur nos écrans.
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