"Everyone has somewhere to go today"
Comme le souligne ce bon vieux Bert Cooper, voilà un épisode où tout le monde a un endroit où aller. Comme nous l'a bien fait entendre le début de saison, la plupart des personnages a envie de changement et de liberté, ils craignent tous de s'enfermer dans une impasse (Pete a d'ailleurs réalisé la semaine dernière que, pour lui, c'était déjà le cas). Divisé en trois parties, "Far Away Places" utilise une forme à la Rashomon pour retracer trois parcours différents au sein de la même journée.
D'abord Peggy. Depuis sa promotion, elle semble elle aussi craindre d'être dans une impasse. Discuter avec Dawn ou s'émerveiller de l'électron libre Ginsberg lui ont fait réaliser que sa carrière reste à un point mort et que sa vie privée refuse de décoller. Tant que la compagnie sera dirigée par des hommes et tant que Don sera le mentor lointain, Peggy restera sur la même marche. Cet épisode fait le point sur sa frustration. Et on découvre que c'est sur son petit ami journaliste que la jeune femme passe ses nerfs. Jusqu'au point où ce dernier décide de foutre le camp et que Peggy se retrouve seule, dans un cinéma sombre, en train de fumer un joint et de pratiquer une fellation à un inconnu. C'est une scène à la fois réconfortante (l'aspect tamisée de la salle, enfumée de l'herbe) et étrange (les images de la savane et le décalage toujours troublant d'être plongée dans une salle de cinéma en plein jour). Il semble alors que le problème de Peggy, c'est son égocentrisme. Elle a toujours dû se mettre en avant pour construire sa carrière et a dû redoubler d'efforts pour s'imposer. Il est alors temps de se tourner vers les autres, peut-être le seul moyen de changer la donne. L'écoute. S'intéresser au mal-être de Ginsberg, se montrer plus affectueuse avec son petit ami. Mettre de côté l'arrogance pour imposer la confiance. C'était ça le voyage de Peggy et si pour elle, la destination est la reconnaissance de la part de Don et de ses collègues, elle a encore une longue route à faire.
L'impasse principale dans la vie de Roger est son mariage. Depuis la deuxième saison, Jane apparaît comme un personnage uni-dimensionnelle, une opportuniste pas facile à apprécier. Mise en retrait, elle a enfin le droit à un traitement plus intéressant, et par la même occasion, Roger n'est pas simplement là pour vieillir amèrement, distribuer des bons mots ou poursuivre sa relation maudite avec Joan. Et pour nous offrir un tableau émouvant et original de cette union en fin de vie, les scénaristes nous inventent dans un voyage ludique à base de LSD. En 1966, la drogue est en vogue et la soirée à laquelle assiste le couple n'est pas sans rappeler les anecdotes des Beatles concernant leur visite chez le dentiste (qui leur glissa le produit dans leur thé à leur insu). Pas encore l'apanage de la jeunesse qui se cherche, le LSD est une mondanité, une curiosité pour bourgeois qui s'emmerdent et se laissent tenter mollement par l'expérience du docteur Leary. Filmé avec inventivité et beaucoup d'humour, le voyage intérieur de Roger le rapproche de Jane, ce qui entraîne une longue conversation à coeur ouvert, ce qui mène à la fin de leur union. Et de manière assez inédite, l'intrigue de Roger en devient aussi amusante que bouleversante. La chanson des Beach Boys résumé plutôt bien le personnage : "I Just Wasn't Made For These Times" (après avoir utilisé "Pet Sounds", j'attends une dose de "Blonde On Blonde" et "Aftermath". Et pourquoi pas de "Revolver" mais je doute qu'AMC en ait les moyens).
Don, on l'a souvent suivi en voyage, que ce soit pour aller visiter la jet-set ou se ressourcer en Californie, dans des épisodes mémorables, parmi mes favoris. Ici, il invite Megan en virée, l'occasion de faire une nouvelle étude sur cette romance qui ne cesse de perdre en grandeur au fil de la saison. C'est la partie de l'épisode la moins passionnante car la moins inédite, mais elle prouve encore une fois à quel point Megan est un personnage rafraîchissant qui apporte plein de nouvelles problématiques autour de Don. Tellement que l'on se retrouve carrément de son point de vue lorsque Don l'abandonne sur une aire de repos, après une dispute autour d'un sorbet orange (peu appétissant, si ?). Mais j'ai tout de même eu l'occasion de me mettre à la place de Don et de m'inquiéter sérieusement pour Megan, tellement nous ne sommes à l'abri de rien dans cette série. Cette relation est tellement fragile, ces disputes tellement violentes que ça en devient hypnotisant et que je n'ai absolument aucune idée d'où cela va mener les deux jeunes mariés. Rien de très sain, à mon humble avis. Bon, je ne veux pas trop continuer ma psychologie et mon analyse à deux balles, mais vous remarquerez que, alors que Roger et Peggy font des voyages plus intérieures et parviennent à avancer dans leurs relations, le séjour de Don et Megan est un véritable voyage, sur la route, mais cela ne les mène qu'à revenir en arrière, qu'à détruire leur avance sur les autres (et à éloigner complètement Don de son refuge habituel : le travail. Bien joué, Bert). Voilà, c'est dit. Bien dit je sais pas, mais je suis content de l'avoir remarqué et de voir que la série me rend toujours aussi bavard...
Chaque saison, la série nous offre ce genre d'épisodes jouant avec les codes de la chronologie et du récit. "Seven Twenty Three" est celui dont je garde le meilleur souvenir et ce "Far Away Places" est tout aussi réussi. Il parvient à développer trois voyages intérieurs tout en les liant à travers un montage intelligent et un thème : faut-il mieux voyager seul ou à deux ? Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, la cinquième saison réalise pour l'instant un sans-fautes.
Allez, je ne peux m'empêcher de vous balancer les paroles de la chanson des Beach Boys, qui est non seulement parfaite pour Roger, mais assez représentatif de l'état d'esprit des personnages en général. Maintenant, plutôt que de parler des années soixantes, de cigarette et de whisky pour définir Mad Men à vos idiots d'amis qui bossent dans la communication, chantez leur "I Just Wasn't Made For These Times"...
I keep looking for a place to fit where I can speak my mind,
I've been trying hard to find people that I won't leave behind,
They say I got brains, but they ain't doing me no good,
I wish they could
Each time things start to happen again I think
I got something good goin' for myself
But what goes wrong?
Sometimes I feel very sad
Can't find nothin' I can put my heart and soul into
I guess I just wasn't made for these times
Every time I get the inspiration to go change things around,
No one wants to help me look for places where new things might be found,
Where can I turn when my fair weather friends cop out?
What's it all about?
Each time things start to happen again
I think I got something good goin' for myself
But what goes wrong?
Sometimes I feel very sad
Sometimes I feel very sad
Can't find nothin' I can put my heart and soul into
I guess I just wasn't made for these times"
P.S. : J'avais oublié de dire concernant l'épisode précédent que j'ai développé une petite théorie concernant Pete. Vous savez, j'ai toujours des petites théories concernant Mad Men, qui sont bien futiles puisque Matthew Weiner ne me donnera jamais ce que je veux. L'an dernier, j'envisagais le suicide de Roger. Cette année, je suis bêtement convaincu que Pete va faire un carnage. À force de nous parler des fait divers macabres de l'année 1966, de nous rappeler l'existence de sa bonne vieille carabine et de nous montrer à quel point il est arrivé dans une impasse, je pense que c'est inévitable. Mais j'ai forcément tort. Je fais confiance aux scénaristes pour ne pas choisir le choix le plus logique mais le plus intéressant pour le personnage. Et puis ça me chagrinerais de voir Pete disparaître..
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