Matthew Weiner l'a répété inlassablement : Mad Men n'est pas une série sur les années soixante. C'est une série sur des hommes et des femmes qui vivent dans les années soixante oui, mais ce n'est pas un document historique. Il l'a même répété la semaine dernière (qui était un épisode très bon mais qui ne m'a pas assez inspiré pour écrire) lorsque Joan et son amie se rendent dans un restaurant qui n'existait pas encore en 1968. Beaucoup d'internautes lui ont reprochés cet anachronisme. Beaucoup d'internautes qui n'ont peut-être pas compris que l'on ne suit pas l'Histoire, mais les histoires alors au final, peu importe. Surtout que ce genre d'erreurs est très rare de sa part.
Et surtout que, quand Weiner décide de laisser l'Histoire influencer le quotidien des protagonistes, c'est toujours réussi. "Nixon Vs Kennedy", "Six Months Leave" ou "The Grown-Ups" se déroulaient eux aussi lors de jours historiques et fonctionnaient très bien. Contrairement à nous, les personnages de Mad Men n'ont pas de recul sur l'histoire. Si je suis scénariste en 2060 et que j'écris une série suivant des personnages évoluant en 2013, je ne mettrais pas en avant gratuitement l'actualité (à moins que mes personnages soient journalistes ou politiciens). Car à moins d'être un vrai militant, quelqu'un d'actif toujours concerné par le monde (ce qui n'est le cas de quasiment de personne dans Mad Men, excepté Abe), l'Histoire n'a aucune véritable prise sur nous. Elle est là à travers les voix qui sortent de la radio, de la télévision, à travers les liens qu'on s'envoient aujourd'hui via les réseaux sociaux. Elle nous permet à l'occasion de se sentir citoyen du monde mais très vite, nos vies reprennent le dessus et il ne reste que de la solitude.
Je disais donc que l'histoire n'a en vérité aucune emprise sur nous. À quelques exceptions près. Et je pense que l'assassinat de Martin Luther King, tout comme celui de JFK, en était une de taille. Que Weiner parvient à "exploiter" (pardonnez moi l'expression) avec beaucoup d'intelligence et de finesse. En n'oubliant à aucun moment de rester au plus près de ses personnages. Plutôt que d'utiliser le drame comme moyen de raconter quelque chose de facile et paresseux sur l'époque et l'humanité, il utilise les personnages comme moyen d'entrevoir le drame et de poursuivre son travail d'étude sur leur évolution à travers le temps. Pour résumer, Mad Men ne parle pas d'Histoire, elle parle du temps. Et ça, je ne sais pas si Weiner l'a répété inlassablement mais moi oui car c'est comme ça qu'on devrait selon moi la définir. Les campagnes promos de Canal + ou les articles copié-collé de la presse généraliste ont suffisamment vendu la série comme ce qu'elle n'était pas, créant ainsi des attentes qui n'ont pas lieu d'être.
Mais je m'égare (et je ne sais pas pourquoi je m'amuse à dériver ainsi à chaque fois alors que personne ne me demande de défendre une série qui ne souffre quasiment d'aucune mauvaise critique). "The Flood" est donc un superbe épisode, qui offre à Jon Hamm un monologue qui m'a beaucoup ému. L'émotion vient comme souvent de quelque chose d'assez personnelle, ici plus précisément d'un rapport à l'enfance et à ma relation avec mon père. C'est raffraîchissant de voir Bobby Draper sortir un peu de l'ombre de sa grande soeur (les changements de casting n'avaient pas aidés, certes) et comme d'habitude, voilà de nouveau une très belle scène se déroulant dans une salle de cinéma. J'étais satisfait aussi de revoir Betty, surtout que l'assassinat du Dr. King était une bonne occasion de refaire le point sur la carrière politique d'Henry et sur les préoccupations de sa femme.
Au départ, j'étais surpris de la réaction de Pete au lendemain des événements. Il est tout à fait légitime de sermonner Harry sur le fait qu'il est un connard (car il est un parfait connard ces temps-ci) mais venant de Pete plutôt que de Joan ou de Ken, c'était inattendu, non ? Au final, on réalise que ce n'est pas si "out of character" et qu'il s'agissait avant tout d'un signe de profonde solitude. De toute façon, quoi qu'il fasse subire à Trudy ou à ses collègues, j'aurais toujours de l'affection et je trouverais toujours des excuses pour Pete. Et c'est tout à l'honneur de Vincent Kartheiser (et de ses rouflaquettes). J'attendais également que l'on repasse du temps en compagnie de Ginsberg, une valeur sûre de la saison précédente, qui ne m'a pas déçu avec sa sincérité à toutes épreuves et sa misérable petite vie attachante. Allez, la prochaine fois, je veux passer du temps avec Stan !
Quand à Peggy, elle continue son chemin, sans être en avance sur son époque, sans être en retard, juste en étant elle-même. Indépendante. Au vu de son parcours dans la série, c'était vraiment attendrissant de la voir aussi heureuse d'apprendre les désirs d'enfant de son compagnon. Et quand Don délivre son monologue à Megan, j'ai toute de suite pensé à elle. À ce qu'elle pourra ressentir quand elle aura un enfant qu'elle aura désiré. Au fait que ça s'applique peut-être à la relation mentor/élève qu'elle entretenait avec Don. Au fait que ça s'applique à l'amour en général. Est-il possible d'aimer sincèrement tout le temps ? Ou est-ce que l'on ressent véritablement ce sentiment que face à un moment précis, à quelque chose que l'on entend, à un sourire, à une réaction, est-ce que l'amour existe seulement comme quelque chose d'éphémère et de surprenant ? Ouais, vous le savez, Mad Men me fait partir dans des trucs existentialistes de comptoir et c'est plus fort que moi.
Et en même temps, c'est ce qui fait que, à part pour cet étrange entretien avec ce mystérieux assureur, j'ai de l'amour pour un tas de moments offerts par cet épisode. Et pour les lunettes de Joan...
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