Mozart in the Jungle [Saison 4]

Pour que fonctionne un orchestre, il ne suffit pas de bons musiciens : il faut que les talents s’unissent et soient bien accordés. Il aura fallu quatre saisons à Mozart in the Jungle pour trouver son rythme. Retour sur de longues répétitions et le clou du spectacle.

Si vous m’aviez demandé mon avis sur Mozart in the Jungle il y a un an, j’aurais dit « bof ». Je vous aurais raconté à quel point le pilote m’avait séduit puis la première saison, malgré ses fulgurances et son audace, m’avait déçu. Comment, à l’exception de quelques jolis moments, la deuxième saison n’avait pas su trouver de cohésion narrative. Pourquoi la troisième saison s’était empêtrée dans un séjour italien bordélique et n’avait dévoilé ses cartes qu’au dernier moment. Si vous me demandez mon avis aujourd’hui, je serais heureux de vous dire tout le bien que je pense de la quatrième saison.


PRÉLUDE

Avant d’expliquer ce petit miracle, remontons à 2014, à l’époque où Amazon se lance dans le streaming. En concurrençant Netflix sur son terrain, la compagnie a voulu s’appuyer sur de gros noms, de gros budgets et lancer une poignée de pilote en l’air sans vraiment se soucier de voir s’ils allaient retomber – procédé qui n’a fait que s’empirer avec les récents chamboulements en coulisses et la commande du Seigneur des anneaux. Qui se souvient encore de The Parisians, Mad Dog ou, pire, qui veut se souvenir de Crisis in Six Scenes de (feu) Woody Allen ? Cette année-là, Amazon a quand même eu la bonne idée de faire confiance à Jill Soloway. Malgré les soucis actuels avec Jeffrey Tambor, Transparent est clairement ce que le service a proposé de plus intéressant, pas seulement pour son aspect progressif mais aussi pour sa liberté de ton et de forme.

Lancée en même temps mais moins encensée – malgré un Golden Globe surprise pour sa première saison – Mozart in the Jungle est toujours restée dans l’ombre de Transparent. Moi, dès son lancement, j’étais excité comme une puce tellement le projet réunissait des gens que j’aimais : Roman Coppola et Jason Schwartzman (de l’écurie Wes Anderson) derrière la caméra et, devant, Gaël Garcia Bernal et Malcolm McDowell (à l’époque où embaucher un acteur ciné commençait à ne plus être que du stunt casting). Basée sur l’autobiographie de l’hautboïste Blair Tindall (modèle du personnage d’Hailey et puits d’anecdotes sur le milieu des orchestres), elle promettait de parler intelligemment de musique, fait assez rare à la télé à l’exception de Treme et, dans un autre registre, de Nashville. Mais le truc encore plus curieux, c’est qu’en 2014, je venais de découvrir Slings & Arrows.

Slings & Arrows, diffusée entre 2003 et 2006 sur la chaîne canadienne Movie Central, traite elle aussi des coulisses d’une troupe artistique. En trois saisons, chacune articulée autour d’une pièce de Shakespeare (Hamlet, McBeth et King Lear), on y suit le parcours d’un acteur devenu metteur en scène d’un théâtre subventionné suite à la mort de son mentor. Autour de lui, on apprend à connaître chaque maillon de la chaîne, du directeur de salle (hilarant Mark McKinney aujourd’hui dans Superstore) jusqu’à la secrétaire faisant beaucoup d’heures supplémentaires (Susan Coyne, joker du show qui a rejoint l’équipe scénaristique de Mozart in the Jungle en 2016). Inspiré aussi bien par Six Feet Under que Fame mais aussi unique en son genre, Slings & Arrows est un classique trop oublié.


FANTAISIE

À l’image des Sopranos pour ce qui est du prestige cable show, Slings & Arrows est tellement réussie qu’elle rend la tâche difficile pour ses héritières. Surtout pour le moi de 2014 qui projette beaucoup trop d’attentes sur un pilote de Mozart in the Jungle pompant beaucoup trop d’idées sur celui de Slings & Arrows. C’est presque de l’ordre du remake non avoué avec le fantôme des grands compositeurs qui hante un nouveau chef d’orchestre déjanté (Rodrigo de Souza), la jeune artiste qui accompagne le spectateur dans sa découverte du milieu (Hailey Rutledge AKA Haï Laï), l’ancien maestro qui cherche à redonner un second souffle à sa carrière (Thomas Pembridge) et celle qui doit gérer le budget en dépit des excentricités de ses employés (Gloria Windsor) et les saisons qui prennent leurs couleurs/thématiques selon le compositeur joué par le New York Symphony Orchestra… Les points communs sont légions et cette première saison peine à se détacher de son modèle et faire exister les personnages hors de ces stéréotypes.

C’est aussi la faute d’Hailey, personnage central manquant de relief et à l’interprète (Lola Kirke) qui peine à s’imposer face au cabotinage de ses co-stars. En particulier Bernal qui, s’il s’amuse comme un fou et nous amuse parfois, est une machine à gimmick aussi en toc. Son personnage de petit génie qui s’embourgeoise est à l’image de la série en fait : bouillonnante d’idées mais incapable de se consacré suffisamment pour leur donner de l’impact. Obligé d’en recourir à du strass à l’aide de guest-stars sympathiques (Wallace Shawn en pianiste loufoque, Schwartzman en reporter loufoque car, oui, tout doit être loufoque) là où il aurait mieux fallu définir les personnages secondaires. Comme dans un film de guerre où l’on a du mal à différencier les soldats, les membres de l’orchestre se confondent au décor. Reste une bande-son formidable mais c’est le moins que l’on puisse exiger d’un tel projet.


FUGUE

La victoire aux Golden Globes semble donc démesurée et on n’attend pas grand-chose du retour discret de Mozart in the Jungle, balancé comme un cadeau de Noël tardif le 30 décembre 2015. Trop tard pour les classements de fin d’années, trop tôt pour ceux de l’année suivante. Mais comme souvent, c’est en ayant le moins d’attentes que l’on peut être le plus agréablement surpris. Si elle souffre toujours d’un gros problème de structure, la deuxième saison corrige quelques fausses notes. En lui coupant les cheveux et en s’attardant sur son enfance d’enfant prodige au Mexique, les scénaristes humanisent Rodrigo et permettent à son interprète de jouer sa comédie plus juste. On prend également le temps de mieux connaître les musiciens (de Bob le syndiqué au timide Warren Boyd en passant par l’intransigeante Betty) ce qui rend plus attrayante l’exploration de leur univers. La série réalise aussi qu’elle tient avec Bernadette Peters et Saffron Burrows (la violoniste Cynthia Taylor) deux valeurs sûres qui ne demandaient qu’à prendre le devant de la scène. Je crois que c’est en voyant Gloria chanter dans une soirée open—mic que je me suis dit pour la première fois « on est sur la bonne voie ». Ajoutez à cela le toujours bienvenu Dermot Mulroney et une Hannah Dunne délicieuse (même si trop peu utilisée) et la mélodie devient bien plus catchy. Reste un souci : Hailey. Difficile pour l’instant de s’attacher à notre protagoniste qui navigue entre indécisions à rallonge et un début de romance très forcée avec son mentor. Quand on a vu 4000 « will they won’t they » à la télévision, on exige un gros pourcentage d’originalité que le duo Rodrigo/Haï Laï ne délivre pas encore (mais auquel on aura bientôt le droit grâce à Crazy Ex-Girlfriend dont le Greg joue ici le fantôme de Mozart).

ADAGIO

Mon regain d’intérêt retombe vite car, l’année suivante, Mozart in the Jungle perd de nouveau son tempo. Le showrunner Paul Weitz (American Pie) a plein de bonnes intentions mais bien du mal à les exécuter. Alors la troisième saison retombe bêtement dans les pièges de la première : du stunt casting (Monica Bellucci dans un rôle ultra-cliché de diva capricieuse), du luxe qui ne raconte rien (comme dans Masters of None, on a un long séjour en Italie qui offre de belles images mais casse complètement la structure narrative) et du jonglage maladroit entre les différentes storylines. Il faut attendre la dernière ligne droite pour que cette symphonie brinquebalante prenne son envol. Roman Coppola signe un mockumentaire à l’intérieur d’une prison qui, malgré quelques maladresses, met plutôt bien en valeur son travail de vulgarisation autour de la musique classique (ou, comme le dit Rodrigo, « la musique »). La grève de l’orchestre permet d’aborder la précarité du monde artistique, d’offrir une nouvelle partition à Cynthia et un rôle de maire de New York pour ce bon vieux Danny Glover. Si Lizzie reste définitivement en périphérie et que la romance entre Rodrigo et Haï Laï ne passionne toujours pas, celle de Thomas et Gloria est une excellente initiative tant le duo apporte énergie et drôlerie. Le maestro Pembridge retrouve clairement du poil de la bête puisqu’il est aussi convaincant en nouveau mentor d’Hailey. Car oui, la voilà la meilleure idée du lot : offrir à la jeune hautboïste des rêves de grandeur dans un milieu où, comme dans la majorité des milieux, les hommes sont privilégiés. Bien que cet arc soit légèrement précipité et que Lola Kirke manque de charisme, c’est suffisant pour que Mozart in the Jungle trouve enfin une direction.


SYMPHONIE

Après une absence à peine remarquée en 2017, la série nous est revenue sans faire de bruit le 16 février dernier. Trop occupé à régler ses nombreux soucis administratifs et à dépenser des millions dans l’héritier de Game of Thrones, Amazon ne s’est pas embêté à la promouvoir outre mesure. C’est dommage puisque cette quatrième saison est la meilleure. Après s’être longtemps cherché, Mozart in the Jungle s’est enfin trouvée. En fait, ce n’était pas compliqué. Il suffisait juste de réunir les ingrédients nécessaires à une bonne série : un fil narratif clair, la maîtrise de son sujet – et des nombreux points de vue possibles sur ce sujet – ainsi que des personnages attachants.

Vous l’avez compris, Lola Kirke n’est pas mon actrice favori. Mais comme le dit Rodrigo, un musicien dépend de sa partition. Dans son parcours du combattant pour devenir chef d’orchestre reconnue, Hailey s’avère beaucoup plus touchante. Jamais sa vulnérabilité, ses doutes et ses rêves n’avaient sonnés aussi juste. Son parcours d’apprentissage est une occasion en or pour aborder le sexisme du milieu, d’hier à aujourd’hui. En parallèle aux dialogues de Rodrigo avec Mozart ou Liberace, Hailey est visitée par les esprits d’Isabella Leonarda, Maria Anna Mozart (la sœur de) et Fanny Mendelssohn, compositrices injustement restées dans l’ombre de leurs contemporains. Lors d’une compétition, elle est à son tour confrontée à la discrimination et réalise qu’il est impossible pour deux femmes d’accéder à la finale. À force de persévérance, elle reçoit le soutien de musiciennes (la série accumule les caméos du gratin que les amateurs apprécieront). Si le dernier épisode offrira une victoire trop prévisible à notre jeune padawan, l’arc aura permis de la consistance, une réflexion essentielle et les plus belles performances d’une Lola Kirke avec qui me voilà réconcilié.

Il aurait été hypocrite d’aborder des thématiques féministes en cachant sous le tapis le traitement pas toujours très fin de la vie amoureuse de Rodrigo. Terminé les clichés rabattus sur l’artiste et ses muses : l’introspection du maestro le mènera progressivement à foutre en l’air l’écueil sexiste selon lequel les femmes sont les personnages secondaires de sa vie. Pour ça, il en passera par la danse interprétative (bien plus engageante ici que dans The OA) et une réflexion joliment écrite sur la nature de ses sentiments pour Hailey. C’est quand celle-ci veut sortir de son orbite et de leur dynamique mentor/protégé que la série parvient à raconter quelque chose d’important sur leur couple et les rapports hommes/femmes. En atteste Ichi Go Ichi E (4.08), un huis clos inventif qui fait le point sur leur situation et nous permet de réaliser à quel point cette saison a su, sans les trahir, faire évoluer les deux personnages, lui vers plus d’humilité (il en ressort à la fois plus drôle et plus touchant), elle vers davantage d’indépendance. Roman Coppola n’aura jamais été aussi bon derrière la caméra et signe là une rencontre minimaliste entre Lost in Translation (réalisée par sa sœur) et La La Land.

Ces révélations ont lieu au Japon (la production aime bien s’offrir des vacances chaque année). Oui, vous allez me dire : n’est-ce pas un peu cliché de saupoudrer nos protagonistes de sagesse lors d’un séjour à Tokyo où il sera aussi question de technologie, de salles d’arcades et de karaoké ? Je vous répondrais oui et non. Oui, on n’échappe pas à l’accumulation habituelle de poncifs accompagnant les occidentaux en pleine quête existentielle en orient. Non, car c’est au service d’arcs intéressants, que ça nous raconte plein de choses sur les rapports entre musique ancestrale et technologies nouvelles (débat qui culmine lors d’une battle entre Rodrigo et un robot !) et que la série est très respectueuse de son environnement (on est plus proche de Girls que des Simpsons). Contrairement au Mexique et à l’Italie précédemment, le Japon n’est pas qu’un décor, c’est un personnage exploré avec amour et un vrai souci d’authenticité. La présence de Masi Oka dans le rôle d’un mécène ne gâche rien.


Si la romance principale passionne enfin, c’est toujours le couple formé par Thomas et Gloria qui reste le plus réjouissant. Bernadette Peters qui chante Nancy Sinatra est un cadeau du ciel. C’est beau et contagieux de voir des acteurs s’amuser autant. Et après avoir lentement mais sûrement offert une personnalité à une galerie de personnages grandissante, la saison peut enfin s’amuser avec l’ensemble de son cast. On a de nouveaux duos, des retours qui font plaisir, des guest-stars qui s’intègrent beaucoup mieux (Michael Emerson en collectionneur loufoque, John Cameron Mitchell en chorégraphe loufoque) et un final réunissant tout le monde de manière organique et très satisfaisante quand on est resté fidèle à l’orchestre jusqu’au bout. Seul bémol : Cynthia rejoint Lizzie en périphérie et, plutôt que de peiner à leur offrir du matériel, elle aurait mieux fait d’offrir leurs temps d’antenne à un cast plus diversifié.

Mozart in the Jungle était à l’image de Rodrigo, elle est maintenant celle d’Hailey. Ce que la série voulait très (trop) fort être dès le début, elle l’est devenue à force de travail et de sacrifices : un mix original et moderne de musique, romance et humour.

OUVERTURE

« Je fais quoi maintenant ? » demande un Rodrigo perdu dans la dernière scène. Et nous on se demande la même chose : est-ce vraiment la dernière scène ? Si oui, la série se termine sur une bonne note. Si non, je serais très curieux d’avoir une cinquième et ultime saison qui achèverait de nous raconter le parcours d’Hailey. J’imagine tout à fait un grand final où elle dirige la Symphonie du Nouveau Monde avec un orchestre intégralement féminin. Et ça donnera à la série l’occasion de corriger un dernier point négatif : la représentation au sein d’un cast principal très blanc. Et s’il s’agit d’un problème lié au milieu, la moindre des choses serait de le commenter.


Depuis 2014, il y aura eu du changement chez Amazon. Je suis heureux que Mozart in the Jungle ait survécu et résolu les problèmes de structures dont sa cousine Transparent souffre encore — même si elle a plein d’autres qualités. La prochaine fois, je pourrais attirer l’inventive Patriot ou l’irrésistible Marvelous Mrs Maisel. En attendant, je ne veux surtout pas vous forcer à donner sa chance à une série de plus en pleine peak tv, surtout après vous avoir dit qu’elle devient vraiment bonne au bout de trente épisodes. Mais j’espère au moins vous avoir donné envie de mater Slings & Arrows, parfaite du début à la fin.

Allez, un dernier argument : le générique est sublime.

P.S. : Un article publié à l'origine sur le Daily Mars.

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